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retrouver si souvent l’expression dans la bouche la plus auto risée, n’a pas suffi plus que la correction parfaite de son attitude dans nos temps troublés à le préserver d’une disgrâce qui semblerait plus juste, atteignant des ennemis du pays ou des adversaires de la République. Déchu déjà de la prééminence que la force des choses et le jeu naturel des responsabilités devaient lui assurer, dans l’intérêt supérieur de la marine, sur les corps qui l’entourent, cet organisme amoindri va voir à bref délai modifier profondément le mode de son recrutement, c’est-à-dire sa physionomie morale et intellectuelle. Que sera le capitaine de vaisseau, le commandant d’unité de combat de 1915 ? Quelle confiance pourra-t-il accorder, dans la suprême épreuve, à ses auxiliaires immédiats, aux officiers supérieurs et subalternes qui l’entoureront ?… Autant de questions qu’on ne peut s’empêcher de se poser avec quelque inquiétude, si dégagé que l’on soit de tous préjugés, si convaincu que l’on veuille être de la souplesse d’adaptation des hommes de notre race. L’histoire, plus impartiale que nous, exactement instruite par des événemens que nous ne pouvons que pressentir, l’histoire seule pourra dire si cette transformation était vraiment justifiée ; si, justifiée, elle était opportune ; et quels en auront été les résultats pour notre établissement naval autant que pour la France elle-même ; — car, plus nous irons, et plus il apparaîtra clairement de quelle conséquence est le sort de la Marine pour la fortune de notre pays.

Heureux s’estimeront pourtant nos officiers, que l’exercice même de leur métier façonne à l’abnégation et au renoncement, si la nation peut trouver, dans le corps nouveau dont les élémens s’élaborent en ce moment, dit-on, dans les rangs inférieurs de la hiérarchie, des serviteurs plus habiles, sinon plus dévoués aux grands intérêts dont la Marine a la charge. Ce que l’on peut dire, avec toute la réserve qu’exigent des appréciations de cet ordre et seulement parce que, là, l’expérience a prononcé une fois déjà, c’est qu’il serait téméraire d’attribuer à l’avance, à des hommes hâtivement tirés d’un milieu où la culture générale est souvent insuffisante, toutes les facultés qui créent l’aptitude au commandement en temps de guerre, et même en temps de paix, dans certaines conjonctures délicates. Du moins éprouva-t-on à cet égard, pendant la Révolution, des mécomptes que confessent franchement (après de retentissans échecs, il est vrai) des conventionnels comme Jean Bon Saint-André, Le Quinio, etc., dont on