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se montrait un connaisseur avisé de lui-même, et du genre de qualités qu’il apportait dans l’œuvre littéraire. Car il est à peu près complètement dépourvu de la faculté d’invention, et de toutes les sortes de l’invention. S’agit-il des personnages ? Ceux dont on devine qu’il ne les a pas rencontrés dans la vie, mais qu’il les a imaginés par un effort de construction psychologique, sont de purs fantoches. S’agit-il des événemens ? Ceux par lesquels il a essayé de donner à ses livres l’intérêt proprement romanesque sont pour la plupart de l’espèce la plus banale et la plus vulgaire dans leur violence. Excellens dans toute la partie où il ne se passe rien, ses romans se gâtent dès que les personnages se mêlent d’agir. Assassinats, suicides, accidens, tous les dénouemens sont empruntés au répertoire des faits-divers. Dans les Courbezon, Sévéragnette ne pouvant rester éternellement entre ses deux galans, l’auteur se débarrasse du premier en le faisant assassiner par le second ; après quoi, le second, par un chassé-croisé providentiel, est lui-même victime de la tentative d’assassinat qu’il commet sur un brave homme de curé ; et celui-ci, à son tour, meurt non du coup de couteau qui lui était destiné, mais du chagrin de constater que l’humanité n’est pas parfaite. Dans Julien Savignac, l’héroïne succombe à d’horribles brûlures, son voile de mariée ayant pris feu au cierge qui tremble aux mains de l’assistant, trop ému. Dans le Chevrier, Félice se noie le soir de ses noces. Dans l’Abbé Tigrane, le vicaire général refuse au cercueil de l’évêque défunt, qu’il a au préalable dûment injurié, l’entrée de la cathédrale et le laisse exposé dans la nuit aux souillures de l’orage. Dans Lucifer, l’évêque Jourfier se précipite de la terrasse de l’évêché au fond d’un gouffre. Dans Mon oncle Célestin, Marie Galtier, dont on a perdu la trace, reparaît aux fenêtres d’une masure abandonnée où le diable a coutume de faire son sabbat. Tous ces épisodes mélodramatiques ressortent d’une façon d’autant plus désobligeante sur la trame unie du récit. Ils attestent moins l’exubérance que l’indigence de l’imagination. En revanche, Ferdinand Fabre a les dons les plus précieux de l’observateur. Il sait voir, et dès qu’il est assuré de travailler sur la réalité, il ne néglige rien pour en apercevoir et en serrer de près tous les détails. C’est le peintre de paysages ou de portraits, consciencieux et docile, attentif à son modèle, soumis à ce qui est, et qui sait rendre avec fidélité ce qu’il voit.

On a dit que Ferdinand Fabre n’avait pas eu de maîtres en littérature et qu’il ne procède que de lui-même. C’est alors que son cas serait tout à fait remarquable, attendu qu’il serait unique. La vérité