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chapeliers et des marchands de rouenneries. Dans les douves, sur les talus, entre les tentes, partout des mendians, la sébile au poing, harcelant l’ouïe de leur aigre miserere. N’oublions point les fritureries en plein vent : trois galets, sur un feu de tourbe, font office de trépied ; des chapelets de saucisses et de cervelas brandillent à la ceinture du marchand ; dans un bain de graisse rissolent les cimereaux, sortes de fouasses plus substantielles, fabriquées avec de la farine, des œufs, du lait et du beurre et auxquelles la légende assigne une origine fabuleuse : « cimereaux » viendrait de Kymris ; les premiers cimereaux seraient contemporains d’Hu-Kadarn et de la fée Koridwen ! Pleurtuit en garda longtemps la spécialité. On les y fabriquait, d’après M. Louis Boivin, « dans des huttes curieuses, ressemblant beaucoup à des huttes de charbonniers. » Le secret, à la longue, transpira : aujourd’hui, tout le pays dinanais et malouin fabrique et consomme des cimereaux.

Devant l’Hôtellerie de la Poste, engoncés dans leurs costumes neufs, les bras ballans, des mousses se tiennent en permanence sous la pluie. Les premiers arrivés au Vieux-Bourg, ils s’en iront aussi les derniers. Pour le moment, malgré l’enfantine jactance de leurs foulards ponceau, ces pauvres petits ne semblent pas très rassurés. Dès qu’un capitaine fait mine d’approcher, on les voit qui se précipitent. Mais les capitaines ont d’autres soucis en tête : des mousses, m’explique mon cicérone, ou en trouve tant qu’on veut : ce sont les patrons et les avants de doris qui regimbent à l’appel. Le fait est qu’on n’en aperçoit guère pour l’instant. Une boue noire, fétide, transforme les routes en marécages : mon compagnon parlait d’or tout à l’heure, et il n’est que trop vrai que des bottes, même d’égouttiers, ne sont point céans un vain luxe. De temps à autre, un maigre rayon de soleil filtre entre les nuées qui pèsent sur le paysage ; la pluie cesse, mais pour reprendre presque aussitôt. Je commence à me morfondre… Attention ! Voici nos gens. Ils nous ont vus, mais ils n’ont eu garde de s’arrêter. Ils poussent droit aux auberges où ils savent que les capitaines, tôt ou tard, les iront relancer. Mon compagnon en happe un au passage.

— Tu n’es pas engagé, Jean-Louis ?

— Bast ! J’ons ben le temps.

— Farceur ! Si tu n’étais pas engagé, ce n’est pas un bout de causette entre deux mics qui te ferait si peur que ça.