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Ainsi, le service actif qui incombe à l’officier ne peut vraiment point s’accommoder de cette stricte obligation de l’étiquette qui ne permet pas à un mandarin, si peu gradé qu’il soit, de s’occuper des détails matériels de la vie, de frayer avec ses inférieurs et, pour le moindre déplacement, de sortir, sans déchoir, en quelque sorte, aux yeux de tous, autrement qu’en palanquin ou en chaise à porteurs, et entouré de cette armée de satellites qui forme le cortège obligé de tout fonctionnaire. L’officier se trouve, au contraire, dans la nécessité, pour le bon exercice de son commandement et par la nature même de ses devoirs, de rechercher le contact permanent de la troupe, afin d’acquérir la connaissance pratique de ses besoins, du maximum d’efforts qu’il est en droit, le cas échéant, d’exiger d’elle. En manœuvres et en campagne, tantôt à pied, tantôt à cheval, il doit ainsi vivre sans cesse de la vie du soldat, être prêt à lui donner l’exemple de l’endurance, du mépris de la mort, et à être en mesure de faire sentir son action personnelle, au moment opportun, jusqu’au dernier degré de l’échelle.


V

Parallèlement à l’application des réformes concernant le recrutement et l’instruction professionnelle des officiers et des troupes de toutes armes : infanterie, artillerie, cavalerie, génie, etc., qui constitueront sa nouvelle armée, la Chine devra procéder à l’organisation des différens services qui, dans toute armée régulière, sont les auxiliaires indispensables du commandement.

Déjà, elle possède sur plusieurs points, ou elle est en train de créer, des arsenaux qui lui fourniront des canons, des fusils et des munitions de guerre en nombre aussi grand que l’exigeront les besoins de son armée et de sa marine militaire. D’autre part, des essais d’organisation d’un service de santé, d’un service vie subsistances, d’un train des équipages, etc., sont tentés sur différens points. Avant même la dernière campagne de Chine, quelques corps de réguliers possédaient, mais simplement à l’état rudimentaire, il est vrai, un matériel et un personnel d’infirmiers et de brancardiers pour assurer l’enlèvement des blessés sur le champ de bataille et leur transport à l’arrière[1].

  1. Dans les armées d’Europe, la certitude, pour le soldat, de recevoir les soins d’hommes dévoués et compétens en cas de maladies ou de blessures, dans la vie de garnison comme en campagne, influe d’une manière considérable sur le moral de ce dernier. Il n’en est point autrement dans les armées de l’Orient. Des réguliers chinois avaient participé, de concert avec des troupes françaises, à une opération contre des Boxers et s’étaient distingués par leur entrain et par une réelle bravoure. L’officier français leur ayant manifesté son étonnement de cette belle conduite, un régulier lui répondit que la mort n’effraie nullement le soldat chinois ; ce qu’il redoute par-dessus tout, c’est, s’il vient à tomber blessé, sur un champ de bataille, de savoir qu’il sera abandonné là sans pitié, sans aucuns soins et qu’il succombera à ses blessures s’il ne se tire point lui-même d’affaire. Cette perspective n’est point à redouter, ajouta le régulier, pour ceux qui combattent côte à côte avec des Européens.
    Le Chinois craint également, s’il reste sur le champ de bataille, de ne pas recevoir les honneurs funèbres, et que personne ne fasse ainsi les offrandes rituelles, sur son corps laissé sans sépulture.
    Une autre préoccupation, non moins redoutable pour lui, est de savoir que, s’il échappe à ses blessures, mais qu’il devienne incapable de gagner sa vie, il ne lui restera plus, comme moyen d’existence, que la ressource d’aller grossir la masse des indigens vivant au jour le jour de la charité publique. Le Chinois qui a abandonné son village pour s’enrôler n’a plus, à de rares exceptions près, à compter sur le moindre secours de sa commune, dont la charité est strictement réservée aux seuls membres de la communauté municipale. Les Chinois au service d’une puissance européenne n’ont point non plus cette extrémité à envisager.
    Ce sont là des indications qui tracent la ligne de conduite du gouvernement de la Chine, dans cette question de l’organisation des services auxiliaires : elles montrent, en effet, mieux que de longues discussions, la nécessité, non seulement au point de vue humanitaire, mais au point de vue de la force morale qu’elle inspire au soldat et des féconds résultats qui en sont la conséquence, de la bonne organisation dans leur armée d’un service de santé, et aussi celle d’une législation prévoyante et généreuse qui assure des invalides à tout homme qui, à la suite d’un acte de dévouement pour le bien ou pour le salut commun, se trouve dans l’incapacité de subvenir à sa subsistance.