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d’un endroit, la contre-partie, et des nombreux emprunts qu’il avait faits, sans le nommer, à ce même ouvrage. Et cependant, ajoutait Constant, « ces allusions ne l’ont pas empêché de croire que c’était un devoir d’amitié que de le protéger et même de le louer. » Pour toutes ces raisons, Mme de Staël refusa de faire « l’extrait » du livre dans la Bibliothèque française de Pougens. D’ailleurs, comment eût-elle loué le Génie du Christianisme ? Elle avait, en public, un rôle à jouer, un personnage à soutenir.

La situation réciproque de Mme de Staël et de Chateaubriand était encore compliquée par leur entourage. Si Chénier, Morellet, Ginguené, Constant critiquaient Chateaubriand, Fontanes et ses amis n’étaient pas plus indulgens envers Mme de Staël et son père, M. Necker. Après les attaques contre le livre De la Littérature, Fontanes avait traité avec assez de sévérité M. Necker et son Cours de morale religieuse. Or, dans le Mercure du 28 août 1802, paraissait sur ce même Necker un article qui dépassait en violence les précédens. Il s’agissait du livre intitulé Dernières vues de politique et de finances, que Necker venait de publier sur les conseils de sa fille. Ce livre avait blessé au vif le Premier Consul, parce que railleur y dénonçait les progrès du pouvoir absolu, et il l’avait fait attaquer dans le Mercure par son confident Fiévée, l’auteur des Lettres sur l’Angleterre. La personne même de M. Necker n’était pas épargnée : « Heureux homme, disait Fiévée, qui a pu contribuer puissamment à tant de malheurs sans en ressentir aucun ; heureux homme, qui n’a jamais versé de larmes que la plume à la main ! » Que devait penser Mme de Staël de semblables attaques ? Elle était alors à Coppet, malheureuse, exilée, menacée de ne jamais rentrer à Paris. Chateaubriand lui écrit le 12 septembre :


« 12 septembre (1802).

« Je vous écris peu parce que mes lettres doivent vous être indifférentes. Vous travaillez, vous êtes tranquille au milieu de vos amis ; que vous importe le triste pays de France ! Je viens de lire les Dernières vues, que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Je suis indigné de la manière dont on a parlé de cet ouvrage. On peut ne pas aimer les opinions de M. votre père, mais avant tout il faut reconnaître en lui l’honnête homme et l’homme d’un grand talent. Je ne connais rien de plus auguste et