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soie et or, à basques pointues et retroussées en cornes, — le vêtement hiératique, celui de la grande poupée blanche, celui des grêles statues féminines des pagodes. Et tous ces jeunes visages sont indolens et larges comme ceux des Kouannines japonaises, plâtrés de fard, blêmes sous leurs couronnes de fleurs, figés au-dessus de l’agitation du peuple dans une expression de gravité mystérieuse. Mais plus saisissante encore est chez toutes l’imperturbable et fatidique répétition de la même attitude. Inanimées, mortes à ce qui les entoure, les yeux mi-clos, elles ne font rien que tenir à la main de longues plumes de paon sinueuses…

Mais notre ébahissement ne dure pas très longtemps. Kiosques et tours mouvantes, bêtes fabuleuses, oiseau-navire, tout cela est fort peu de chose. Du clinquant, de la toile et du papier comme la plupart des épouvantes et des merveilles chinoises : papier d’or et d’argent, toiles peintes, tendues sur des armatures de bambous. Tout simplement des joujoux comme ceux que nous a déjà présentés le matériel religieux de ce bouddhisme birman, comme les petits monstres de bois qu’on vend aux corridors des pagodes, mais ici gigantesques, montés sur des chars que des attelages d’hommes à aient avec des cordes, au rythme des chants qui scandent leurs efforts. Et, comme pour achever la drôlerie de ces funérailles d’archevêque, mille statuettes gracieuses, des tanagras indo-chinoises, se penchent, s’ébattent, s’éventent, rieuses sur les chars, aux pieds des effroyables bêtes, à tous les degrés de ces pyramides et de ces tours.

Rencontré là, près du grand serpent enroulé, un jeune civil servant anglais dont nous avons fait la connaissance hier. Il est de service dans cette fête invraisemblable où il convient que l’autorité européenne soit représentée. Correct, en smoking, car il sort de son dîner, il nous accueille avec une courtoisie placide. Dans l’Inde, où tous ces fonctionnaires ont passé, ils ont vite perdu la faculté de s’étonner. J’ai connu un commissioner qui, à vingt-deux ans, arriva d’Oxford à Baroda pour défendre contre la foule musulmane une délirante procession hindoue. Il y avait des bayadères, des promenades d’idoles et d’éléphans : on célébrait le mariage de deux pigeons.

Quelques phrases précises nous ont bientôt expliqué cette surprenante féerie. Cette « grande gloire, » dont on honore le cadavre, fut décidément, un personnage de premier rang. Son autorité qui s’exerçait sur les deux Birmanies, en maintenait, de