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LES IDÉES MUSICALES D’ARISTOTE.

n’ait pour principe la répétition des formes sonores ou leur retour. La polyphonie vocale du XIVe siècle en fut une application, quelquefois rigoureuse jusqu’à la tyrannie. On sait que de chefs-d’œuvre a capella sont bâtis, — et à combien d’étages ! — sur un thème superposé à lui-même. Lorsque, dans un salon de Florence, au début du XVIIe siècle, parut ou reparut la mélodie, elle n’aspira d’abord, sous l’espèce primitive du récitatif, qu’à la liberté de la déclamation ou du discours. Mais elle ne tarda guère, — et ce fut le sens de son évolution, — à chercher la beauté dans le développement organique de son être, c’est-à-dire dans la génération de périodes similaires et formées par elle à son image. Cette imitation de soi-même constitue non pas le procédé, mais la nature de la musique et véritablement sa vie. On l’observe, on la suit à travers les genres les plus variés, depuis la romance à couplets jusqu’au leitmotiv, en passant par la fugue, la variation, la sonate et la symphonie. Il est même remarquable, à ce propos, que la fugue et la variation, — celle-ci portée au plus haut degré de puissance, — aient été les modes favoris de la pensée de Beethoven en ses dernières œuvres de piano (sonates op. 106, op. 109, op. 110, op. 111 ; variations sur un thème de Diabelli). La règle formulée par Aristote n’a jamais reçu plus glorieuse consécration. Nulle part l’esprit humain ne saurait goûter mieux qu’en ces chefs-d’œuvre suprêmes la douceur « d’approfondir les connaissances acquises » et le charme de l’habitude que la musique unit à l’agrément de la nouveauté. L’un et l’autre se combinent en de telles œuvres, où la constante identité de la pensée n’a d’égale que sa continuelle transformation. Mais, de ces deux principes, le premier est peut-être le plus efficace. Avec un héros du drame romantique, la musique a sans doute le droit de dire : « Je suis une force qui va. » Elle est pareillement, sinon davantage, « une force qui revient, » et, dans l’impression qu’elle nous cause, dans le plaisir qu’elle nous donne, il est permis de douter si la surprise a plus de part, ou si c’est le souvenir.


III

Cette impression et ce plaisir, Aristote estimait, et toute la Grèce, avec lui, que la qualité non seulement esthétique, mais-sentimentale, n’en saurait être indifférente. La nature et la valeur