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différer d’un autre homme ! L’acceptation d’une croyance, et même d’une discipline commune, n’empêche pas plus la libre manifestation de l’individualité que les lois de l’anatomie n’empêchent les visages humains de se diversifier depuis la laideur de Socrate jusqu’à la beauté d’Aspasie. « L’autonomie » n’est pas « l’anarchisme. » Mais ce que l’on veut dire quand on dit qu’il n’y a pas ni ne saurait y avoir de « religion personnelle, » c’est qu’il n’y a pas, ou qu’il n’y a jamais eu de religion qui ne fût un rassemblement, pour ainsi dire, ou un groupement d’êtres humains autour de la même croyance ; — et c’est ce que la logique nous démontrerait avec une évidence entière, si l’histoire ne nous le prouvait avec encore plus de clarté.

On aura donc beau nous répéter avec Auguste Sabatier : « Qu’est-ce que la foi, j’entends la foi personnelle et vivante, sinon l’appropriation individuelle de la vérité ? Comment donc la foi serait-elle autre chose que subjective ? Et la certitude chrétienne peut-elle se trouver hors du ressort de ma conscience ? Vous avez peur que ce fondement ne soit pas solide ? Mais de quelle nature est le fondement de la morale ? Admettez-vous qu’il y ait rien de plus solide que le sentiment du devoir ? Une autorité extérieure en morale pourrait-elle jamais atteindre à cette sécurité profonde et douce dont jouit une conscience qui voit clairement son devoir et qui l’accomplit ? Si la morale ne souffre pas du caractère subjectif de son principe, pourquoi la religion en souffrirait-elle, surtout dans le christianisme où elle arrive à s’identifier avec la plus haute morale et à former avec celle-ci une idéale unité ? » Ce ne sont là que des mots ; et nous nous enfonçons plus que jamais dans l’équivoque.

Equivoque sur le mot de foi ! Equivoque sur le mot de « morale ! » Equivoque sur le mot de « conscience ! » On demande si « la certitude chrétienne peut se trouver hors du ressort de ma conscience ? » C’est demander s’il se trouve « hors du ressort de ma conscience » quelque certitude, et par suite quelque vérité, de quelque nature que ce soit. Et il est bien certain, entre autres choses certaines, qu’aucune certitude n’existe pour moi qu’autant qu’elle est saisie par moi ! Mais si, par hasard, elle n’était pas saisie par moi, son objet n’en existerait pas moins, en dehors et indépendamment de moi. Évidemment, je ne suis certain ni de la vérité du principe d’Archimède ni de la réalité de la fonction glycogénique du foie, si je n’en ai jamais entendu