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compte et la conduite suspecte qu’il a tenue, arrêtent que Hérault et ceux qui habitent avec lui seront mis sur- le-champ en état d’arrestation au Luxembourg et que les scellés seront apposés sur leurs papiers. » Un mandat analogue fut décerné contre Philibert Simond.

Dans la soirée, vers onze heures, Hérault de Séchelles, en rentrant chez lui, vit avec surprise sa maison investie[1]. Il demanda ce que cela signifiait. Pour toute réponse, on mit sous ses yeux l’ordre d’arrestation dont il était l’objet. Il se récria, protesta, revendiqua le droit d’en référer avant tout au Comité de Sûreté générale. On se contenta de lui objecter que les membres du Comité s’étaient séparés et, tandis qu’on apposait les scellés sur les portes de son appartement, on le conduisit au Luxembourg, où il fut écroué en même temps que Philibert Simond, qui venait d’y arriver.

Le lendemain, il écrivit à la Convention :

« Enfermé cette nuit dans la prison du Luxembourg, je frémis d’indignation en vous annonçant de quelle absurde et atroce calomnie je me trouve victime. Est-il possible qu’un représentant du peuple se voie privé de sa liberté et enlevé à ses fonctions sur une simple dénonciation qui ne m’a point été communiquée, dont j’ignore le lâche auteur, sans explication préalable, sans que j’aie été appelé ni entendu au Comité de Sûreté générale, suivant l’usage qui s’observe entre nous, et surtout suivant le décret qui charge le Comité de Sûreté générale de prendre connaissance des dénonciations contre les députés. »

En exhalant ces plaintes, le malheureux oubliait qu’il n’était pas un des détenus parmi lesquels il se trouvait jeté subitement qui n’eût eu le droit d’en exprimer de toutes pareilles. Il oubliait que, pour eux aussi, comme pour les victimes déjà sacrifiées, on s’était contenté de « simples dénonciations ; » qu’on ne les avait même pas confrontés avec leurs accusateurs ; et que, pour les frapper plus sûrement, on avait violé les règles de la justice, les lois de défense, les devoirs que commande le respect de la liberté et de la vie humaine. Ces crimes, il les avait approuvés ; il en avait, par ses votes, préparé et facilité l’exécution. Comment pouvait-il s’étonner d’être à son tour frappé par les armes qu’il avait mises aux mains des bourreaux !

  1. C’est lui-même qui le raconte dans la lettre citée plus haut, dont l’original existe aux Archives nationales.