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elle avait, au jour de sa délivrance, recouvré sa sérénité. Ce n’est pas pour étonner, lorsqu’on se rappelle avec quelle résignation calme et hors nature elle s’était séparée, à la fin de 1792, de sa fi Ile et de son fils.

De cette sérénité si rapidement reconquise l’amie des dames de Bellegarde, Aimée de Coigny, dont nous avons invoqué déjà le témoignage, donne une explication qui la peint elle-même tout entière et nous révèle sa propre mobilité. « M. Hérault, le député avec lequel elles étaient venues en France, écrit-elle, périt bientôt après. Mais elles le voyaient depuis si peu de temps que, malgré le grand attachement qu’il leur avait inspiré, le regret très vif aussi qu’elles en conçurent fut bientôt calmé. »

Que la comtesse de Bellegarde ait promptement pris son parti de la mort de Hérault de Séchelles, cela est hors de doute. Mais que ce soit parce qu’elle le connaissait depuis peu, Aimée de Coigny se trompe lorsqu’elle le prétend. Adèle oublia vite et fut vite consolée parce que c’était une âme légère et frivole sur qui les impressions passaient fugitives sans laisser une empreinte profonde, peut-être aussi parce qu’après avoir assisté à tant de sanglantes calamités, le désir de les oublier fut plus puissant que la douleur d’y avoir perdu un être cher. Elle ne serait pas la seule ni la première qui aurait immolé à ce besoin d’oubli total ce qui semblait inoubliable quand la tourmente était déchaînée. Sa liberté recouvrée, elle fut une femme nouvelle ou, pour parler plus exactement, elle se trouva telle qu’elle était, lorsqu’en Savoie, dix-huit mois avant, elle avait cédé à l’indomptable besoin de n’obéir qu’à son caprice, de donner carrière à ses curiosités de jeune femme à qui sont lourdes les chaînes, fussent-elles de fleurs.

Du reste, le théâtre qui s’offrait à ses regards était singulièrement attirant et bien fait pour lui suggérer la volonté d’y jouer un rôle. La société sortait de la mort et rentrait dans la vie. On s’étonnait d’être encore de ce monde alors qu’on pouvait compter par centaines les infortunés que le bourreau en avait arrachés. D’avoir vu de si près la fin de tout, on se croyait revenu à un commencement, à l’aube d’un avenir hier encore inespéré, qui reconstituerait sur des bases nouvelles l’édifice détruit et à de stupéfiantes catastrophes ferait succéder de légitimes réparations. La volonté de prendre sa place dans cet avenir, quels sont ceux parmi les contemporains qui ne l’ont pas conçue ? Le terrain sur