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Seulement, ce Sabrier est tout de même un financier d’une conscience un peu trop large : il prend avec l’argent qu’on lui confie des libertés répréhensibles. Voilà de bien vilain monde. Le premier acte est d’ailleurs de l’esprit le plus péniblement cherché, le second de la sensiblerie la plus factice et la plus fâcheusement larmoyante.

Mme Réjane a mis tout son grand talent à faire passer le rôle d’Antoinette Sabrier ; elle s’est montrée, comme à son ordinaire, excellente comédienne, tour à tour spirituelle et touchante ; toutefois elle n’a réussi qu’incomplètement à gagner la partie. M. Tarride a joué avec beaucoup de naturel le rôle de Sabrier. Et nous ne saurions assez dire combien il a fallu de tact et d’adresse à M. Lérand pour sauver le rôle déplorable de Doreuil.


L’Odéon, après avoir essayé, un peu vainement, de secouer nos nerfs par la représentation d’une histoire terrifiante de M. André de Lorde, l’Idiot, nous a donné trois actes d’une gaieté douce, reposante, lénifiante. L’Héritier de M. Pierre Soulaine est le véritable spectacle des familles. Nous sommes dans une ville d’eaux, récemment créée dans un site délicieux au milieu des montagnes. Peut-être n’y a-t-il à Villiers-les-Eaux, ni montagnes, ni eaux, mais il y a tout un essaim de jeunes filles. Les pères, les mères, les tantes de ces demoiselles aspirent à leur trouver un mari. Or on annonce l’arrivée, à Villiers, du jeune Gamard, héritier de Gamard et plusieurs fois millionnaire. A peine Gamard a-t-il paru, on organise autour de l’héritier un siège en règle. Parties de tennis, promenades, tête-à-tête. L’héritier n’échappe à la famille Chavagnol que pour tomber dans la famille Duval, et n’évite Jeanne que pour retrouver Henriette ou se croiser avec Geneviève. Toute la volière est en émoi. Soudain la nouvelle la plus imprévue, la plus étourdissante, la plus déconcertante jette la consternation dans Villiers-les-Eaux. Gamard n’est pas Gamard. Il s’appelle Fernand, et, pour comble d’horreur, il appartient à une profession que la province réprouve. Il est… il est comédien ! Quant au vrai Gamard, il est marié. Ce qui rend la situation presque tragique, c’est que Fernand s’est épris de Jeanne Chavagnol, et que Jeanne Chavagnol n’est pas restée insensible au charme du beau Fernand. Heureusement tout s’arrangera. On réfléchira que le métier de comédien n’est plus tout à fait ce qu’il était du temps du Roman comique ; d’ailleurs Fernand est en passe d’entrer à la Comédie-Française où il ne peut manquer d’arriver au sociétariat, qui lui vaudra d’être, au terme de sa carrière, professeur au Conservatoire. Jeanne peut très