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les Célestes ont vite fait de former, comme à Java, la classe sociale la plus riche ; les autres peuples au contraire, Laotiens, Cambodgiens, Annamites, Birmans, Pégouans, Malais ne s’élèvent guère au-dessus de la condition de petits artisans, de salariés voués aux plus humbles besognes. En minorité dans leur propre capitale, les Siamois pullulent à la cour, autour du monarque, dans les palais où s’agitent les deux ou trois mille épouses ou servantes de Sa Majesté et la foule des princes et princesses, sœurs et frères, demi-sœurs et demi-frères du roi, oncles et cousins, peuple innombrable de parasites qui participent aux charges et surtout aux profits du gouvernement. Ce monde de princes et de princesses, de fonctionnaires, d’officiers de toute sorte, de gardes et de soldats qui grouillent autour de Chulalongkorn, on peut presque dire que c’est là tout le peuple siamois : c’est une aristocratie exploitante et gouvernante.

Le roi, ses conseillers, et toute la foule qui vit à leurs dépens ont les apparences et les bénéfices du pouvoir, — c’est d’ailleurs à quoi ils tiennent, — mais ils n’en ont pas les réalités ; depuis de longues années, ce sont des Européens qui aident le monarque à gouverner son État et à le défendre contre les convoitises extérieures ; ce sont eux qui, en 1874, ont poussé Chulalongkorn à constituer une sorte de conseil d’État dont il prend l’avis, et c’est à eux aussi que cette funambulesque parodie de régime constitutionnel a surtout profité. Toute l’habileté du roi et des princes ses parens a consisté à tenir habilement la balance égale entre les diverses influences étrangères qui cherchent à s’exercer sur la cour de Bangkok et qu’elle ne peut, sous peine de cesser d’être, ni écarter entièrement, ni accepter sans contrepoids. Dans cette tactique d’équilibre, la ruse cauteleuse et l’art raffiné de la dissimulation orientale, que les Siamois ont porté à sa perfection, ont admirablement servi leurs desseins et masqué leur faiblesse : ils ont fait illusion à l’Europe, à la France surtout, par le jeu très adroit d’une diplomatie toute dilatoire, par l’étalage pompeux de forces illusoires et la revendication hautaine de droits fictifs. J. G. D. Campbell dans son récent ouvrage : Siam in the twentieth century[1], porte sur les Siamois un jugement sévère qui se termine par un pronostic d’avenir : « Les Siamois sont paresseux et légers. Ce sont les Chinois qui travaillent et

  1. Londres, 1902, Edw. Arnold, in-8o.