Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/600

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de moyens de communication, le dispensateur de la vie et de la richesse, le propulseur de l’activité économique et politique. Les petits royaumes laotiens ont presque tous leur bourgade principale, — on dirait leur capitale, si le mot n’était un peu ambitieux quand il s’agit de Vien-Tiane, de Bassac ou de Luang-Prabang, — sur le Mékong ; presque tous s’étendent sur les deux rives. Faire du Mékong la frontière entre l’Indo-Chine française et le Siam, ce serait nous préparer, pour l’avenir, des difficultés interminables ; ce serait organiser l’instabilité. Ou bien, en effet, c’est le Siam qui, profitant de notre inertie, pousserait ses avant-postes au delà du Mékong, comme il l’avait fait en 1893 ; ou bien c’est la France qui, se faisant la tutrice des petits rois laotiens et des populations opprimées, déborderait sur la rive droite et finirait par absorber le Laos siamois. Les négociateurs du traité de 1893 l’avaient parfaitement senti, eux qui avaient mis tant d’insistance pour obtenir la clause relative à la zone de 25 kilomètres qui faisait du Mékong un fleuve définitivement français.

Le Mékong n’est pas une barrière, mais il n’est malheureusement pas non plus une grande route naturelle, comme le sont l’Iraouaddy ou le Ménam ; il est le type du fleuve à biefs ; il descend, par une série de défilés et de rapides, jusqu’à la mer, n’offrant à la batellerie, au lieu d’une ligne d’eau continue, qu’une série de tronçons navigables. Si notre bonne fortune eût voulu que le fleuve qui finit en Cochinchine fût facilement navigable jusqu’aux confins de l’Empire du Milieu, tout le commerce descendrait naturellement vers les ports français du delta, sans qu’il soit besoin de voies ferrées. Par malheur, il n’en est pas ainsi : le Mékong n’est pas un fleuve, mais une série de fleuves successifs sans communication facile entre eux ; chacun de ces biefs a sa vie propre, son activité économique, et les marchandises, lorsqu’elles se heurtent à l’un des barrages naturels qui arrêtent la navigation, cherchent ailleurs un débouché et gagnent, par terre, soit le bief inférieur, soit quelque cours d’eau, comme la Moun ou le Ménam, qui les porte à Bangkok au lieu de les mener à Saigon. Le problème à résoudre apparaît donc très clair : il s’agit soit de faire du Mékong une voie pratiquement navigable, soit de donner, à chacun de ses biefs navigables un débouché vers la mer. Qui possédera ces débouchés sera le vrai maître du bassin du Mékong, sans même avoir besoin d’en administrer directement les territoires. C’est pourquoi la question des voies ferrées