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avait été impossible de pénétrer chez le maréchal de l’Hôpital, parce que, le roi s’y trouvant, on avait pris des mesures afin d’éviter la cohue. L’usage obligeait à subir chez soi les sociétés les moins choisies. A une grande fête chez le duc de Lesdiguières, qui l’offrait en son cœur, disait la chronique, à Mme de Sévigné, « le roi était à peine sorti, qu’on commença à jouer des mains et à piller tout, jusque-là que l’on assure qu’il fallut remettre quatre ou cinq fois de la bougie aux lustres, et qu’il en coûta pour ce seul article plus de cent pistoles à M. de Lesdiguières[1]. »

Ces mœurs démocratiques avaient l’encouragement du roi, qui laissait aussi sa porte ouverte les soirs où il dansait son ballet. Il faisait mieux encore. Il allait officiellement souper chez « le sieur de la Bazinière, » ancien laquais devenu financier et millionnaire et ayant la tournure, les manières et les cascades de rubans du marquis de Mascarille. Il veillait à ce que Mademoiselle invitât au Luxembourg Mme de l’Hôpital, ancienne lingère épousée deux fois pour ses beaux yeux, la première fois par un partisan, la seconde par un maréchal de France. Ces leçons n’étaient pas perdues pour la noblesse. Les mésalliances ne s’y comptaient plus, les plus basses, les plus honteuses, pourvu que la dot fût belle. Un duc et pair avait épousé la fille d’un ancien charretier. Le maréchal d’Estrées était gendre d’un partisan connu sous le nom de Morin le Juif. On en pourrait citer bien d’autres, car le mouvement se précipitait d’année en année. En 1665, le roi étant allé au Parlement[2] faire vérifier un édit, un groupe d’hommes, parmi lesquels Olivier d’Ormesson, regardait la tribune des dames de la Cour. Quelqu’un s’avisa de compter combien d’entre elles étaient filles de parvenus de la finance : il s’en trouva trois sur six. Deux autres étaient des nièces de Mazarin, mariées à des nobles français[3]. La seule qui fût de bonne maison était Mlle d’Alençon, demi-sœur de la Grande Mademoiselle. On ne se serait pas attendu à ces chiffres, même en faisant la part du hasard ; mais le roi approuvait et la noblesse était ruinée : chacun se raccrochait où il pouvait.

Le courant général était favorable à cette confusion des

  1. Journal... de deux jeunes Hollandais.
  2. Le 29 avril.
  3. Au duc de Bouillon, et au fils du maréchal duc de La Meilleraye, qui prit le titre de duc de Mazarin.