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pour d’autres idées et d’autres sentimens. C’est dans ces années de 1650 à 1656, qui nous apparaissent d’abord comme un désert moral, que la charité privée fit chez nous l’un de ses plus grands efforts, les plus à l’honneur de tous ceux qui s’en mêlèrent. J’ai signalé ailleurs[1] la misère effroyable du pays pendant la Fronde. Il fallait soulager cette détresse, qui changeait en solitudes un lambeau après l’autre de notre territoire, et il ne se trouvait personne pour le faire parmi les gens en possession de l’autorité. Les ressources et la bonne volonté leur manquaient également : il n’y avait aucune aide à attendre de la royauté impuissante et, il faut bien le dire, à peu près indifférente.

On a peine aujourd’hui à se représenter l’état où le simple passage d’une armée, appartenant à un peuple civilisé, pouvait mettre il y a deux ou trois cents ans une terre française ou allemande. L’idée de restreindre les souffrances de la guerre à l’inévitable est nouvelle. Au XVIIe siècle, on travaillait au contraire à les accroître. La plupart des chefs apportaient un soin sauvage à exciter la manie de destruction qui s’émeut si facilement chez le soldat en campagne. Vers la fin de la Fronde, des troupes appartenant à Condé, alors au service de l’Espagne, occupèrent son ancien gouvernement de Bourgogne. Si province en France pouvait espérer d’être ménagée par M. le Prince, c’était celle-là : son père l’avait eue avant lui, et elle était pleine de leurs amis. Tant de liens furent inutiles. Le 23 mars 1652, les États de Bourgogne écrivaient à M. de Bielle, leur « député en Cour : » « Les ennemis ayant brûlé entièrement quatorze villages (suivaient les noms), outre d’autres qu’ils ont brûlés depuis, ces boute-feux étant encore en campagne et continuant ces horribles dégâts, le tout ainsi qu’il a été mandé par ordre exprès de Mgr le Prince, que le commandant (de la ville) de Seurre a reçu, de brûler toute la province s’il lui était possible. Ledit sieur de Bielle peut juger par ces incendies, auxquels on n’apporte aucun empêchement, en quel état sera la province dans peu. »

Le soldat ne s’inquiétait guère que la région saccagée fût en deçà ou au delà de la frontière ; il en faisait à peine la différence.

  1. V. La Jeunesse de la Grande Mademoiselle, passim. Pour ce chapitre. Cf. La Misère au temps de la Fronde et saint Vincent de Paul, par Feillet ; La Cabale des dévots, par Raoul Allier ; Un épisode de l’histoire religieuse du XVIIe siècle, par Alfred Rébelliau (Revue des 1er juillet, 1er août, 1er septembre 1903) ; Saint Vincent de Paul, par Emmanuel de Broglie ; Saint Vincent de Paul et les Gondi, par Chantelauze ; Port-Royal, par Sainte-Beuve.