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souffrir chez les grands. Gaston d’Orléans mourut à Blois, le 2 février[1], des suites d’une attaque. On l’avait entendu murmurer de son lit, en regardant sa femme et ses enfans : « Dormis mea domus desolationis vocabitur. Ma maison sera nommée la maison de la désolation. » Il ne croyait pas si bien dire. Madame se surpassa pour la maladresse, et quelque chose de plus. Elle alla dîner pendant que son époux recevait l’extrême-onction, congédia la domesticité de Monsieur aussitôt après le dernier soupir, fit mettre tout sous clef et ne s’occupa plus de rien. Ses femmes refusèrent un drap pour ensevelir le cadavre ; il fallut qu’une dame de l’entourage en donnât un. Des prêtres étaient venus veiller le corps ; n’ayant point « de lumière ni de feu, » ils s’en retournèrent, et le mort resta seul, plus abandonné encore que ne l’avait été son frère, le roi Louis XIII. (On l’emporta « sans pompe ni dépense[2] » à Saint-Denis, et sa veuve courut à Paris, s’emparer du Luxembourg pendant que Mademoiselle n’y était pas.

La Cour se dispensa de feindre des regrets. Le roi lui avait donné le ton en disant à sa cousine d’un air gai, après les premiers complimens : « Vous verrez demain mon frère avec un manteau qui traîne. Je crois qu’il a été ravi de la mort de votre père pour cela… Il croit en hériter et avoir son apanage ; il ne parle d’autre chose ; mais il ne l’a pas encore. » Anne d’Autriche écoutait en souriant : « Il est vrai, poursuit Mademoiselle, que Monsieur vint le lendemain avec un furieux manteau. » Elle avait eu de la peine à ne pas sourire aussi. Son chagrin était cependant très vif, malgré le passé, ou plutôt à cause de lui ; mais c’était une impulsive, entraînée par l’impression du moment. Elle afficha un peu trop sa douleur : « Je voulais porter le deuil le plus régulier et le plus grand qui eût jamais été… Tout était vêtu de deuil, jusqu’aux marmitons et les valets de tous mes gens, les couvertures de mules, tous les caparaçons de mes chevaux et de mes sommiers. Rien n’était si beau, la première fois que l’on marcha, que de voir tout ce grand équipage de deuil. Cela avait un air fort magnifique et de vraie grandeur. On dit que je l’ai assez à toute chose. » Le deuil des mulets valait le manteau à traîne de Monsieur. Cette magnifique pompe funèbre avait

  1. Le bal avait eu lieu le 3. Il fallut plusieurs jours pour que la nouvelle de la mort arrivât à Aix.
  2. Mémoires de Mademoiselle.