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Mais que m’importe à moi cette part de moi-même
Que l’on met au tombeau
Si je sens dans l’air âpre et vif que ma bouche aime
Mon corps toujours nouveau ;

Si je me sens renaître au fond du printemps proche
Et de l’été futur,
Si la source et la fleur sont encor dans la roche
Ou derrière le mur,

Et si je puis toujours forcer l’Heure nouvelle
A se montrer à moi.
Enivrée, amoureuse et douce ainsi que Celle
Qui venait autrefois.

Soumise et repoussant le cuir de sa sandale
Du bout de son orteil,
Sur la terre docile à son ombre inégale
Danser nue au soleil.


LE DEPART


Moi, le maître du champ, du clos et du verger,
J’ai vu mûrir le fruit à la branche alourdie
Et la grappe charger le cep que son or plie,
Et j’ai laissé la porte ouverte à l’étranger !

Que tous entrent ici cueillir et vendanger.
Chacun selon sa force et selon son envie ;
Je pars... et que la mer, au gré du vent, dévie
Ma fortune nouvelle et mon vaisseau léger !

Je ne reviendrai plus ; vous m’oublierez. L’automne
Ramènera le fruit el la grappe. Personne
Ne se souviendra plus de celui dont la main

Planta l’arbre docile et la treille certaine,
Et qui changea, reprise à son Dieu souterrain,
La source sans visage en masque de fontaine.