Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/712

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après, le sérac même sur lequel nous nous étions aventurés s’écroulait à son tour. Nous l’avions échappé belle !

Parvenus au bas du glacier, nous trouvons, dans la plaine spongieuse qui borde la mer, nos botanistes occupés à faire une riche récolte de mousses. Ces mousses, dont se nourrissent les rennes, sont presque toute la végétation terrestre du Spitzberg. La végétation aquatique est représentée par les magnifiques algues vertes qui se balancent au fil du courant dans les eaux glaciales des ruisseaux. Nos minéralogistes rapportent des spécimens de péridotite et de serpentine, la pierre schisteuse que travaillent les Esquimaux. Nos chasseurs ont tué des eiders, des hirondelles de mer, des goélands de toute taille. Un Russe, qui se dit professeur, est très fier d’avoir découvert au sommet du mont de l’Observatoire, à 750 mètres d’altitude, trois bouteilles contenant des papiers : avec une candide désinvolture, il a enlevé les papiers écrits dans une langue qu’il ne pouvait comprendre. Cet acte d’une inconsciente barbarie se passe de commentaires. Le capitaine comte Stenbock y a mis ordre en se faisant remettre les documens, qui seront détenus par lui jusqu’à ce qu’ils puissent être remis à leur place. Ces documens remontent à l’expédition de la Recherche.


IV

Rentrés à bord, à neuf heures du matin, assez fatigués de notre rude excursion à jeun, nous déjeunons de bon appétit, et nous achevons sur la couchette notre sommeil interrompu, pendant que l’Oihonna reprend sa route vers le Nord et laisse à l’Ouest la Baie des Glaces que nous visiterons au retour. Quand le clairon du dîner nous réveille, à une heure, nous voguons sur l’Océan par un temps superbe. Le ciel est si beau, le soleil si radieux qu’à la vue d’une île qui passe, l’un de nous s’écrie : « Voilà Capri ! » Le fait est qu’à ce moment, le paysage me rappelle plutôt la côte dalmate que je visitais naguère. Les oranges et les bananes qu’on passe au dessert, sous le 78e degré, ajoutent encore à l’illusion.

Pendant plusieurs heures, nous naviguons en vue de la longue île du Prince Charles Foreland. C’est une faveur absolument exceptionnelle que de pouvoir contempler, par un brillant soleil sans aucun voile, cette mystérieuse terre qui s’étend du