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passe devant ses grandes fissures, devant ses grands trous béans qui ont l’air de plonger jusqu’aux entrailles de la terre. Dans un infini de silence, où semblent se perdre, s’éteindre les piétinemens de notre humble caravane et les longs cris à bouche fermée de nos muletiers, nous nous traînons toujours, par les ravins et les fondrières de ce désert pâle. Il y a çà et là des groupemens de formes noires, dont la lune projette l’ombre sur la blancheur des pierres ; on dirait des bêtes ou des hommes postés pour nous guetter ; mais ce ne sont que des broussailles, lorsqu’on s’approche, des arbustes tordus et rabougris. Il fait chaud comme s’il y avait des brasiers partout ; on étouffe, et on a soif. Parfois on entend bouillonner de l’eau, dans les rochers de l’infernale muraille, et en effet des torrens en jaillissent, qu’il faut passer à gué ; mais c’est une eau tiède, pestilentielle, qui est blanchâtre sous la lune, et qui répand une irrespirable puanteur sulfureuse. — II doit y avoir d’immenses richesses métallurgiques, encore inexploitées et inconnues, dans ces montagnes.

Souvent on se figure distinguer là-bas les palmiers de l’oasis désirée, — qui cette fois s’appellera Daliki, — et où l’on pourra enfin boire et s’étendre. Mais non ; encore les tristes broussailles, et rien d’autre. On est vaincu, on dort en cheminant, on n’a plus le courage de veiller à rien, on s’en remet à l’instinct des bêtes et au hasard...

Cette fois, cependant, nous ne nous trompons pas, c’est bien l’oasis : ces masses sombres ne peuvent être que des rideaux de palmiers ; ces petits carrés blancs, les maisons du village. Et, pour nous affirmer la réalité de ces choses encore lointaines, pour nous chanter l’accueil, voici les aboiemens des chiens de garde, qui ont déjà flairé notre approche, voici l’aubade claire des coqs, dans le grand silence de trois heures du matin.

Bientôt nous sommes dans les petits chemins du village, parmi les tiges des dattiers magnifiques, et devant nous s’ouvre enfin la lourde porte du caravansérail, où nous nous engouffrons pêle-mêle, comme dans un asile délicieux.


Jeudi 19 avril. — Je ne sais pas bien si je suis éveillé ou si je dors... J’ai depuis un moment l’impression mal définie d’être au milieu d’oiseaux qui chantent, qui volent si près de moi que je sens quand ils passent le vent de leurs plumes... En effet, ce sont des hirondelles empressées, qui ont des nids remplis de