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a je ne sais quoi de virginal et de sacré, cette eau si claire.

Après trois heures de marche, une petite tour crénelée surgit toute seule au bord de notre chemin : un poste de veilleurs, où nous comptions prendre deux soldats de renfort. En passant, nous nous arrêtons pour héler à longs cris ; mais rien ne bouge et la porte reste close. Entre deux créneaux cependant, au sommet de la tour, finit par se dresser la tête d’un vieillard à chevelure blanche, coiffé d’un haut bonnet de magicien : « Des soldats, — dit-il, d’un ton de moquerie, — vous voulez des soldats ? Eh bien ! ils sont tous partis dans la campagne à la recherche des brigands qui nous ont volé quatre ânes. Il n’y en a plus, vous vous en passerez, bon voyage ! »

Au coucher du soleil, halte pour le repas du soir, sur de vieux bancs hospitaliers, à la porte d’un caravansérail, d’un château fort isolé comme était Kham-Simiane, qui commande l’entrée d’une plaine nouvelle... Et c’est enfin la plaine de Chiraz, celle que jadis tant chantèrent les poètes, c’est le pays de Saadi, le pays des roses.

Vue d’ici, elle paraît délicieusement paisible et sauvage, cette haute oasis où nous allons nous enfoncer au crépuscule ; l’herbe y est épaisse et semée de fleurs ; les peupliers par groupes y simulent des charmilles, d’un vert doux et profond ; les mêmes nuances que chez nous en avril sont répandues sur les arbres et les prairies ; mais il y a dans l’atmosphère des limpidités que nous ne connaissons pas, et, au-dessus de l’éden de verdure déjà plongé dans l’ombre, les grandes montagnes emprisonnantes se colorent à cette heure en des rouges de corail tout à fait étrangers aux paysages de nos climats.

A travers cette plaine, légèrement descendante, où l’air est de moins en moins vif, nous reprenons notre marche devenue facile, et environ quatre lieues plus loin, dans la nuit fraîche et étoilée, de longs murs de jardins commencent de s’aligner de chaque côté de la route : les faubourgs de Chiraz ! Aucun bruit, aucune lumière et pas de passans ; les abords des vieilles villes d’Islam, sitôt qu’il fait noir, ont toujours de ces tranquillités exquises dont nous ne savons plus nous faire l’idée, en Europe...

Ces murs sont ceux des caravansérails, bien qu’ils semblent n’enclore que des bois de peupliers, et là nous frappons successivement à deux ou trois grandes portes ogivales, qui s’entr’ouvrent à peine, une voix répondant de l’intérieur que tout est