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vieilli, dépassé par le positivisme de la science moderne. Aujourd’hui, ce ne sont plus des miracles qui peuvent convertir, mais des paroles ! Jésus n’a-t-il pas toujours défendu qu’on racontât ses prodiges : cependant qu’Origène, fort Germain par la pensée, écrivait déjà avec une belle fierté : « Nous ne croyons pas le Christ pour ses miracles ; mais, parce que nous croyons en Lui, nous ne doutons pas de ses miracles. » Voilà des citations qui sont singulièrement instructives. Ainsi donc on retrouve le pur spinozisme au terme de l’évolution de la philosophie allemande, aussi bien qu’à ses débuts : et cela dans un livre qui maltraite si cruellement Spinoza ! Nous verrons quel parti M. H. S. Chamberlain a tiré de ses spéculations évangéliques pour préparer la foi germanique de l’avenir.

Auparavant, il nous faut suivre rapidement les avatars germaniques de la pensée chrétienne dans les Assises du XIXe siècle. Saint Paul nous y est présenté après son maître comme aussi peu juif que possible. Sa ville natale, Tarse, qu’on nous donnerait en toute autre circonstance comme peuplée de bâtards syriens, est ici traitée de pure colonie grecque ; et s’appuyant sur la doctrine de l’hérédité mentale qui est exposée dans le Monde comme Volonté. M. Chamberlain croit distinguer que le converti du chemin de Damas eut pour père un Juif, pour mère une Grecque ! Néanmoins, alors que Schopenhauer, s’attachant surtout au côté mystique dans la personnalité de Paul, faisait de lui l’incarnation des tendances prétendues aryennes du christianisme naissant, l’auteur des Assises, sans fermer les yeux sur des mérites très évidens, accuse pourtant l’apôtre des Gentils d’avoir judaïsé la pensée du Christ. C’est que notre critique voit Jésus purement aryen, et que Paul lui apparaît en conséquence comme fort imbu de judaïsme initial, quand il le rapproche d’un modèle, qu’il a posé, par définition, comme le Germain parfait. L’Epître aux Romains serait, par exemple, toute juive, si l’Epître aux Galates porte des traces d’aryanisme en raison des attaches celtiques de ses destinataires : l’auteur commun de ces deux missives avait donc joué un rôle ambigu et néfaste, en somme, dans les origines chrétiennes.

Rallumée aux étincelles aryennes qui dormaient sous la cendre dans l’âme inquiète des Pères de l’Église, la mystique allemande flamboie durant tout le cours du moyen âge : c’est la philosophia teutonica, la philosophie teutonique par excellence.