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VERS ISPAHAN

DEUXIEME PARTIE[1]

Mercredi 25 avril. — Le soleil baissait déjà quand nous avons fait précipitamment notre première course en ville, aux bazars, pour acheter des coussins et des tapis. (Dans cette maison d’Hadji-Abbas, les chambres, il va sans dire, n’avaient rien que leurs quatre murs.)

On circule dans cette ville comme dans un dédale souterrain. Les ruelles couvertes, semées d’immondices et de pourritures, se contournent et se croisent avec une fantaisie déroutante ; par endroits, elles se resserrent tellement que, si l’on rencontre un cavalier, ou même un petit âne, il faut se plaquer des deux épaules aux parois pour n’être point frôlé. Les hommes, en robe sombre, coiffés du haut bonnet d’astrakan, vous dévisagent sans malveillance. Les femmes glissent et s’écartent comme de silencieux fantômes, enveloppées toutes, de la tête aux pieds, dans un voile noir, et la figure cachée par un loup blanc avec deux trous ronds, pour les yeux ; mais les petites filles que l’on ne voile pas encore, très peintes et la chevelure rougie de henneh, sont presque toutes adorables de beauté fine et de sourire, même les plus pauvres, qui vont pieds nus et dépenaillées, sous des haillons charmans. Dans ces mornes et longues murailles, en briques grises ou en terre grise, jamais ne s’ouvre une fenêtre. Bien que des portes, et encore y a-t-il un second mur bâti derrière pour lus masquer, leur faire un éternel écran ; quelques-unes s’encadrent de vieilles faïences précieuses, représentant

  1. Voyez la Revue du 15 décembre.