Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après avoir traversé plusieurs grandes cours, le général et les officiers arrivent enfin dans la partie du bâtiment réservée à la Légation de France. Le ministre de France, M. Pichon, prévenu, se porte rapidement au-devant d’eux. Malgré l’heure matinale, Mme Pichon, Mmes Berteaux, Saussine, Filippini, apparaissent bientôt à leur tour, tenant par la main de frêles et gracieux enfans, les joues pâlies par les privations, et ouvrant de grands yeux, tout étonnés de voir ces Européens qu’ils ne connaissent point, ces militaires accoutrés comme des « bandits, » si chaleureusement fêtés par tous ! Toute la Légation de France et le lieutenant de vaisseau Darcy, à la tête de son détachement de vaillans matelots, sont là réunis ! On s’embrasse ; on étreint les mains amies ; la joie est peinte sur tous les visages. L’émotion fait couler quelques larmes. Enfin, cette fois, c’est bien la délivrance ! Cette obsession de chaque instant sur le sort qui était réservé aux assiégés, cet affreux cauchemar qui les poursuivait nuit et jour ont cessé ! Les pensées se reportent vers ceux qui, loin, bien loin, en France, attendent depuis longtemps, avec une angoissante anxiété, cette heure bénie ! et du fond des cœurs monte vers le ciel un élan de profonde reconnaissance ! Quelques regrets se mêlent à ces expansions, car l’on songe avec tristesse aux braves qui reposent dans un petit coin de jardin où l’on conduit les arrivans, comme à un lieu de pèlerinage, cimetière improvisé sous le feu de l’ennemi, et dont le terrain fut longtemps disputé pied à pied par les assiégés aux assaillans. Là dorment leur dernier sommeil, côte à côte, unis dans le même sort, fauchés en pleine force, en pleine jeunesse, tous ceux — chefs, marins et volontaires — qui ont payé de leur vie le dévouement au salut commun ! Leur vaillance, leur fin héroïque, comme celle des braves qui sont tombés dans la défense du Pétang, auront leur page glorieuse dans les annales militaires de notre chère France. « Il faudrait graver quelque part en lettres d’or leur histoire d’un été, de peur qu’on ne l’oublie trop vite, et la faire certifier telle, parce que bientôt on n’y croirait plus. » (P. Loti.)

Les troupes de secours semblent aussi hâves et aussi fatiguées que les assiégés ! C’est que l’objectif qui leur était imposé n’a pas été atteint sans de rudes épreuves : chaleur, manque de sommeil, rapidité de la marche, et aussi, parfois, manque de nourriture ; mais, devant le résultat obtenu et devant les témoignages