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faire perdre au clergé, à l’Église et au pape leur prudence, leur sang-froid et leur modération. On voit que la séparation mûrit dans son esprit. Il est à l’affût du moindre incident qui lui permettrait de l’en faire sortir comme une représaille légitime ou un acte de réparation. S’il reste à la tête du gouvernement pendant une durée assez prolongée, — et rien ne permet de croire qu’il en tombera prochainement, — nous nous trouverons donc un beau matin en présence d’une proposition de dénonciation du Concordat ; et si la Chambre la vote sous la pression du ministère, celui-ci, armé du vote de la Chambre, sera bien fort sur le Sénat pour vaincre ses hésitations, ou même pour étouffer ses angoisses. Le scrutin final peut être enlevé de haute lutte, et la procédure de dénonciation commencera tout de suite auprès du Vatican.

Nous sommes en un temps où tout arrive : il faut remonter, chez nous, à la fin du XVIIIe siècle pour en trouver un autre aussi révolutionnaire. Nous reconnaissons, d’ailleurs, que les choses se passent, non pas toujours légalement, mais enfin sans violences matérielles, ce qui est d’autant plus facile que le pays semble indifférent à ce qui arrive et que les intérêts lésés ne songent même pas à se défendre. M. Combes n’a-t-il pas dit un jour à ses adversaires : — De quoi vous plaignez-vous ? Vous parlez de révolution, et il n’y a pas de guillotine I — Nous lui en savons, certes, beaucoup de gré, et nous apprécions comme il convient cette différence entre ce qui s’est passé il y a cent dix ans et ce qui se passe aujourd’hui. Mais la guillotine n’est pas le fond de la Révolution, elle n’en est qu’un des instrumens, et nous venons de dire pourquoi cet instrument est aujourd’hui inutile. Le gouvernement peut tout se permettre, car on le laisse tout faire. Il rencontre sans doute de l’opposition, une opposition correcte et bien sage, bien impuissante aussi, mais pas la moindre résistance. Combien de temps les choses dureront-elles ainsi ? Qui le sait ? Cela ne paraît pas près de finir ; il n’y a aucune raison pour que M. Combes ne reste pas longtemps encore maître de nos destinées. Il était, semble-t-il, le ministre ignoré que cherchait la troisième République pour s’incarner en lui. Nous ne l’aurions pas cru, mais il faut bien se rendre à l’évidence. Son habileté consiste à engager continuellement des affaires nouvelles que lui seul peut conduire à terme, comme il lui a plu de s’en vanter un jour où il avait oublié sa modestie. — Je vous défie, a-t-il dit, de me trouver un successeur. — C’est vrai ; il serait difficile d’en trouver un autre pour faire ce qu’il fait ; et pourtant on a vu combien cela est facile, puisqu’il suffit, n’ayant aucune volonté