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ils partent comme pour une fantasia ; ceux que montent mes cavaliers de Chiraz, moins rapides et plus capricieux, ont l’air de galoper voluptueusement et recourbent leur cou très long avec la grâce des cygnes. Pas de routes tracées, pas de clôtures, pas de limites, rien d’humain nulle part ; vive l’espace libre qui est à tout le monde et n’est à personne ! Le désert, que bordent au loin, très au loin, de droite et de gauche, des cimes neigeuses, s’en va devant nous, s’en va comme vers des horizons fuyans que l’on n’atteindra jamais. Le désert est traversé d’ondulations douces, pareilles aux longues houles de l’Océan quand il fait calme. Le désert est d’une pâle nuance verte, qui semble çà et là saupoudrée d’une cendre un peu violette ; — et cette cendre est la floraison d’étranges et tristes petites plantes qui, au soleil trop brûlant et au vent trop froid, ouvrent des calices décolorés, presque gris, mais qui embaument, dont la sève même est un parfum. Le désert est attirant, le désert est charmeur, le désert sent bon ; son sol ferme et sec est tout feutré d’aromates.

L’air est si vivifiant que l’on dirait nos chevaux infatigables ; ils galopent ce matin, légers et joyeux, avec un cliquetis d’ornemens de cuivre et avec de fantasques envolées de crinière. Nos cavaliers de Chiraz ne peuvent pas suivre ; les voilà distancés, bientôt invisibles derrière nous, dans les lointains de l’étendue paiement verte et paiement irisée qui n’a pas l’air de finir. Tant pis ! On voit si loin de tous côtés, et le vide est si profond, quelle surprise pourrions-nous bien craindre ?...

Rencontré une nombreuse compagnie de taureaux noirs et de vaches noires, qu’aucun berger ne surveille ; quelques-uns des jeunes mâles, en nous voyant approcher, commencent à sauter et à décrire des courbes folles, mais rien que par gaieté et pour faire parade, sans la moindre idée de foncer sur nous, qui ne leur en voulons pas.

Vers neuf heures du matin, à une lieue peut-être sur la gauche, dans une plaine en contre-bas, de grandes ruines surgissent ; des ruines Achéménides sans doute, car les colonnes encore debout, sur les éboulis de pierres, sont fines et sveltes comme à Persépolis. Qu’est-ce que ce palais, et quel prince magnifique habitait là, dans les temps ? Les connaît-on, ces ruines, quelqu’un les a-t-il explorées ? Nous dédaignons de faire le détour et de nous arrêter ; ce matin, il nous faut fournir une rapide étape