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fleurs d’autrefois clans nos climats, celles que connaissaient nos pères ; mais surtout des roses, d’énormes touffes de roses.

Et enfin, au point d’où l’on a plus agréablement vue sur cette Chiraz, la « reine de l’Iran, » une grande salle, ouverte de tous côtés, a été jadis construite pour abriter du soleil les visiteurs contemplatifs ; ce n’est rien qu’un toit plat, très peinturluré, soutenu à une excessive hauteur par quatre de ces colonnes persanes, si sveltes et si longues, dont le chapiteau ressemble lui aussi aux ruches des abeilles ou des frelons. Sur des tapis de prière, deux ou trois vieillards se tiennent là, qui font vignette du temps passé, au pied de ces étranges colonnes ; leurs bonnets d’astrakan sont hauts comme des tiares, et ils fument des kalyans dont la carafe ciselée pose sur un trépied de métal. Devant eux, le pays qui fut chanté par Hafiz resplendit, inchangeable, dans la lumière du matin. Entre les flèches sombres des cyprès d’alentour, et au delà des champs de pavots blancs, des champs de pavots violets, qui mêlent leurs teintes en marbrures douces, dans le clair lointain, la ville de boue séchée déploie ses grisailles molles et roses, fait luire au soleil ses mosquées de faïence, ses dômes renflés comme des turbans et diaprés de bleus incomparables. Tout ce que l’on voit est idéalement oriental, ces jardins, ces kiosques d’émail ; au premier plan, ces colonnes, ces vieillards à silhouette de mage, et là-bas, derrière les cyprès noirs, cette ville telle qu’il n’en existe plus. On est comme dans le cadre d’une ancienne miniature persane, agrandie jusqu’à l’immense et devenue à peu près réelle. Une odeur suave s’exhale des orangers et des roses ; l’heure a je ne sais quoi d’arrêté et d’immobile, le temps n’a plus l’air de fuir... Oh ! être venu là, avoir vu cela par un pareil matin !... On oublie tout ce qu’il a fallu endurer pendant le voyage, les grimpades nocturnes, les veilles, la poussière et la vermine ; on est payé de tout... Il y a vraiment quelque chose, dans ce pays de Chiraz, un mystère, un sortilège, indicible pour nous et qui s’échappe entre nos phrases occidentales. Je conçois en ce moment l’enthousiasme des poètes de la Perse, et l’excès de leurs images, qui seules, pour rendre un peu cet enchantement des yeux, avaient à la fois assez d’imprécision et assez de couleur.


Plus loin est le tombeau de ce Saadi, qui naquit à Chiraz vers l’année 1194 de notre ère, environ deux siècles avant Hafiz,