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dehors, s’en remettant aux soins des vautours ; à cette heure brûlante, un essaim de mouches les enveloppe.

Il gèlera sans doute cette nuit, mais la chaleur en ce moment est à peine tolérable, et notre sommeil méridien est troublé par ces mêmes mouches bleues qui, avant notre venue, étaient assemblées sur les pourritures.

Cinq heures de route l’après-midi, à travers les solitudes grises, sous un soleil de plomb, pour aller coucher au caravansérail de Surmah, près d’une antique forteresse sassanide, au pied des neiges.


Mardi 8 mai. — Les taches vertes des petites oasis aujourd’hui se font plus nombreuses, des deux côtés de notre chemin. Sur le sol aride, une quantité de ruisseaux de cristal, issus de la fonte des neiges, et canalisés, divisés jalousement par la main des hommes, s’en vont çà et là porter la vie aux quelques défrichemens épars dans ces hautes plaines.

Vers dix heures du matin, nous arrivons dans une ville, la première depuis Chiraz. Elle s’appelle Abadeh. Ses triples remparts, en terre cuite et en terre battue, qui commencent de crouler par endroits, sont d’une hauteur excessive, surmontés de créneaux féroces et ornés de briques d’émail bleu qui dessinent des arcades. Ses portes s’agrémentent de cornes de gazelle, disposées en couronne au-dessus de l’ogive. Il y a un grand bazar couvert, où l’animation est extrême ; on y vend des tapis, des laines tissées et en écheveaux, des cuirs travaillés, des fusils à pierre, des grains, des épices venues de l’Inde. Aujourd’hui se tient aussi, dans les rues étroites, une foire au bétail ; tout est encombré de moutons et de chèvres. Les femmes d’Abadeh ne portent point le petit masque blanc percé de trous, mais leur voile est on ne peut plus dissimulateur : il n’est pas noir comme à Chiraz, ni à bouquets et à ramages comme dans les campagnes, mais toujours bleu, très long, s’élargissant vers le sol et formant traîne ; pour se conduire, on risque un coup d’œil, de temps à autre, entre les plis discrets. Les belles ainsi voilées ressemblent à de gracieuses madones n’ayant pas de figure. On nous regarde naturellement beaucoup dans cette ville, mais sans malveillance, et les enfans nous suivent en troupe, avec de jolis yeux de curiosité contenue.

Nous pensions repartir après une halte de deux heures, mais