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n’importe quel gîte, pour nous reposer à l’ombre et en finir.

Dans une maison de pauvres, au-dessus d’une cour où grouillent des enfans loqueteux, une vieille femme consent à nous louer un taudis, quatre murs eu pisé et un toit de branches, rien de plus ; encore désire-t-elle l’autorisation de son père, fort longue à obtenir, car le vieillard est en enfance sénile, aveugle et sourd, et il faut lui hurler longtemps la chose, dans les deux oreilles l’une après l’autre.

A peine étions-nous là, étendus pour un peu de repos, une clameur monte et commence à nous troubler : la cour est pleine de monde, la rue aussi ; et nous apercevons la vieille femme en sanglots, au milieu de gens qui vocifèrent et la menacent du poing.

— Qu’est-ce que c’est ? lui dit-on, loger des chrétiens ! Qu’elle rende l’argent ! Dehors, leurs bagages ! Et qu’ils sortent sur l’heure !

— Ça, non, par exemple, nous ne sortirons pas !

Je fais barricader la porte et informer la foule, par la voix d’un héraut, que je suis prêt à subir toutes les horreurs d’un siège plutôt que de descendre ; ensuite, aux deux lucarnes de la fenêtre, mon serviteur français et moi, nous montrons braqués nos revolvers, — après avoir eu soin d’enlever les cartouches pour éviter tous risques d’accident.


P. LOTI.