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l’éclosion de la beauté comme devant un miracle ; son esthétique planait dans le surnaturel, et dans un surnaturel précis, où « la Mère de Dieu et les augustes Apôtres » voisinaient intimement avec l’âme contemplative de l’écrivain. Wackenroder, — à moins peut-être que ce ne fût Tieck, qui collaborait à ce petit livre, — imaginait une lettre d’un jeune élève d’Albert Durer, émigré dans la Ville Éternelle : au cours d’une visite à Saint-Pierre, ce touriste de l’art se faisait catholique, et racontait pourquoi ; les effluves de la musique l’avaient circonvenu, l’élévation de l’hostie sainte l’avait fait s’agenouiller, et il lui avait semblé que tous ces catholiques, hommes et femmes, qui étaient là, à genoux, priaient le Père du ciel pour le salut de son âme et que leurs calmes oraisons l’attiraient à leur foi avec une irrésistible violence. La page est fort belle ; elle racontait à l’avance l’histoire de cette colonie romaine de peintres allemands, qui s’appelèrent les Nazaréens.

Trois ans après les Épanchemens de cœur de Wackenroder, un personnage de tragédie, sur la scène de Weimar, risquait des confessions analogues. « Que se passa-t-il en moi, s’écriait-il, lorsque là-bas, à Rome, j’entrais dans l’intérieur des églises, lorsque s’abaissait la musique des cieux, lorsque jaillissait, des parois et des plafonds, une profusion d’apparitions, lorsque s’offraient à mes sens étonnés les plus somptueux et les plus sublimes cortèges, lorsque moi-même je voyais les choses divines, lorsque je voyais le Pape en ses pompes, le Pape officier et bénir les peuples !... Oui, c’est lui seulement qui est entouré de divin. Sa demeure est vraiment un royaume des cieux, car ces formes-là ne sont pas de ce monde. » Ainsi parlait Mortimer, dans la Marie Stuart de Schiller. On était en l’année 1800 : l’ancien chantre des dieux de la Grèce faisait, sans le savoir, une apologétique catholique qui fut féconde ; au cours du siècle nouveau, plusieurs convertis nous diront en leurs Mémoires que ces vers donnèrent à leurs âmes le premier branle ; et l’on ne pourrait trouver une plus opportune épigraphe pour l’histoire de l’évolution religieuse qui, sous l’impulsion d’Overbeck, détacha de la Réforme un long cortège d’artistes allemands, hôtes momentanés ou définitifs de la Ville Éternelle.

La villa de Malte d’abord, puis le petit cloître de Saint-Isidore, abritèrent, à partir de 1810, une « fraternité » d’artistes qui vivaient comme des anachorètes, d’un peu de riz et de quelques