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pourrait être autrement conçue ; qu’elle est donc arbitraire, plus personnelle à l’auteur qu’intérieure au sujet ; — et, pour en faire en passant la remarque, c’est justement ce genre de reproche que les classiques évitaient en se conformant plus ou moins à l’histoire.

Alexandre Dumas fils, dans une de ces Préfaces qu’au temps de ma jeunesse on appelait « étincelantes, » a essayé de définir le genre de nécessité qui s’oppose à ce « romanesque. » Il y disait qu’au théâtre « la vérité pouvait être absolue ou relative, selon l’importance du sujet et le milieu qu’il occupe, » — et je suppose qu’il s’entendait lui-même en écrivant ces choses, — « mais il y faut, continuait-il, une logique implacable entre le point de départ et le point d’arrivée,... une progression mathématique, inexorable, fatale, qui multiplie la scène par la scène, l’événement par l’événement, l’acte par l’acte, jusqu’au dénouement, lequel doit être le total, et la preuve. »

La « preuve » et le « total « de quoi ? C’est ce qu’on ne voit pas très bien : mais on comprend ce qu’il voulait dire ; et il ne se trompait que d’étendre à l’art dramatique tout entier ce qui n’est vrai que de la forme tragique. La Dame aux Camélias n’est, à ma connaissance, le « total » ou la « preuve » de quoi que ce soit ; et on serait fort embarrassé de trouver dans le Demi-Monde rien qui ressemble à « une progression mathématique, inexorable, et fatale. » Le caprice a d’ailleurs, comme la fantaisie, son rôle et sa place au théâtre. On ne s’est jamais plaint qu’il y eût trop de « romanesque » dans les comédies de Musset ou dans celles de Marivaux : les Fausses Confidences, le Jeu de l’Amour et du Hasard ; et, plutôt, si quelqu’un s’avisait de trouver qu’il y en eût trop dans les comédies de Shakspeare : le Marchand de Venise ou Beaucoup de bruit pour rien, ce serait lui qu’il faudrait plaindre. En revanche, il y a des sujets, dont la donnée même exige en son développement cette rigueur et cette logique ; il y en a dont l’auteur lui-même n’est plus le maître, dès qu’il en a posé les conditions ; il y en a qu’on ne saurait enfin traiter que d’une seule manière, qui est la bonne, toutes les autres n’en étant que l’ébauche ou la contrefaçon ; et ce sont les sujets tragiques. Le premier caractère de la tragédie, et on entend bien que je ne dis pas en soi, ni d’après moi, mais dans l’histoire, et dans l’histoire de toutes les littératures, est d’être « nécessaire. »