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Mais si Phèdre n’aimait pas Hippolyte, elle en aimerait un autre, puisque son amour n’est en elle qu’un effet de la vengeance de Vénus, — entendez un effet de la fatalité passionnelle ; — et la même pièce en ressortirait, puisqu’elle est tout entière dans la personne de Phèdre. C’est ce que j’appelle le « tragique de caractère. » Il ne dépend pas tant de la rencontre ou de la circonstance que de la psychologie des personnages. Encore qu’ils n’en soient pas les maîtres, leur destin est cependant en eux, et ils le créent, pour ainsi dire, du fond de leur passion, à mesure qu’ils en subissent la loi. C’est le cas de Polyeucte et c’est le cas de Bérénice. Les situations où ils s’embarrassent, pour finir par y succomber, ne sont pas l’œuvre du hasard, ou de la fortune, mais uniquement de leur caractère. Quand ils seraient en toute sécurité du côté des choses au des autres hommes, ils seraient encore pour eux-mêmes, et eux-mêmes, par leurs qualités ou par leurs défauts, une perpétuelle menace. Et, au lieu que leur situation détermine enfin leur caractère, c’est leur caractère qui, d’une situation commune et ordinaire, leur fait une situation singulière, extraordinaire et tragique.

Il n’y avait guère que de ce tragique de situation » dans l’Énigme : il y en a peut-être encore plus que de « tragique de caractères » dans le Dédale.

M. Brisson, dans le Temps, a trouvé que Marianne de Pogis était une « nature exceptionnelle ; » M. Faguet, dans le Journal des Débats, l’a trouvée, lui, « moyenne » et quelconque : M. Faguet a raison ; mais M. Brisson n’a pas tort. C’est la situation qui est « exceptionnelle, » et dont le caractère d’exception se communique à Marianne, pour la rendre capable d’un acte qu’elle n’eût jamais cru d’elle-même. Mais, cependant, on ne saurait dire ce qui distingue Marianne un peu profondément d’une autre femme qu’aurait surprise l’imprévu de la même situation ; et son caractère, en ce sens, manque d’individualité. N’en pourrait-on pas dire autant de son premier mari, M. de Pogis, et du second, M. Le Breuil ? Je me suis laissé conter que, de son troisième ou de son quatrième acte, l’auteur du Dédale ne savait pas lui-même lequel il préférait. Son hésitation paternelle ne me surprendrait pas. Au troisième acte, c’est la situation qui domine les caractères. Au quatrième acte, c’est le caractère qui domine ou qui devrait dominer la situation.

En ne s’attachant qu’au tragique de caractère, M. Paul