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— « hospitalité de nuit, » — la police leur en impose un dans ses prisons. C’est désobéir à la loi que de ne pas demeurer quelque part.


I

« Béni soit Dieu qui a placé les tunnels là où passent les chemins de fer ! » disait un vaudeville du siècle dernier. Des voyageurs et des auberges, il semble banal de dire que les premiers précèdent les secondes, que l’affluence des uns détermine la création des autres, et quoique le fait, aujourd’hui, ne soit plus toujours vrai. Souvent, dans nos centres urbains et nos stations estivales d’Europe, mieux encore dans les embryons de villes du Nouveau Monde, la fondation de vastes hôtels a pour but d’attirer une population, flottante ou stable, et y réussit. Ce sont les logis, en ce cas, qui suscitent les habitans.

Encore faut-il que les logis ainsi offerts soient d’un accès facile, grâce aux chemins de fer, qui sont à la fois une route et un moyen de transport. N’ayant ni l’un ni l’autre, nos pères ne se déplaçaient guère et voyageaient d’autant plus mal qu’ils voyageaient peu : le mouvement normal, constaté par le bureau de péage à la frontière de Provence, au milieu du XIVe siècle, est au maximum d’une douzaine de personnes par jour.

Les grands de la terre déployaient plus de luxe dans leurs pérégrinations, mais ne jouissaient pas d’un bien haut degré de confort. La duchesse de Bourgogne, mère de Jean sans Peur, part de Conflans en 1384 : sa garde-robe et celle de sa fille emplissent quatorze chars ; son train était de 367 chevaux, attelés par 4 ou par 8 à des chariots dont la file interminable portait les bagages des femmes, des enfans, des fous, des bâtards et des domestiques. Les fourriers prenaient les devans et, après avoir nettoyé l’auberge où la princesse devait coucher le soir, déployaient ses tapisseries, les suspendaient aux murs et fixaient au plafond les ciels de lit et les rideaux.

Elle emportait ses vivres, en partie, son vin du moins, dans des barils « bien étoupés, » sa batterie de cuisine, son matériel de paneterie, de chapelle, son horloge, quoique le régime des voyages ne convienne guère à la fragile machine, qui supporte mal ces épreuves quotidiennes ; aussi faut-il la « rappareiller » bien souvent. Tout cela sans doute était utile, mais n’empêchait pas que l’on manquât du nécessaire : les chariots embourbés