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bière et 30 petits verres d’un litre de chartreuse, gagne aisément 70 pour 100, net, de son chiffre d’affaires. Le bénéfice moyen du café de la Paix figure au bilan du Grand-Hôtel pour 160 000 francs ; en certaines années, il a été de plus du double. Le restaurateur est loin d’être aussi privilégié. La clientèle est, pour diverses causes, devenue plus rare, plus économe, sans cesser d’être difficile. Aux temps épiques de Very, de Véfour, des Frères Provençaux ; plus tard, à l’ancien Café de Paris du boulevard de Gand, à la Maison d’or, au Café Anglais, il se trouvait, dans le Paris de 1815, de 1835 et de 1865, un assez grand nombre de Parisiens gastronomes qui consentaient à « manger un napoléon » à leur dîner. Ces Parisiens aujourd’hui dînent au cercle pour 8 fr. 50. Cependant les denrées ont augmenté dans notre capitale plus qu’ailleurs, et il est à noter, par exemple, que, depuis l’allumette avec laquelle le Français allume son feu le matin, à son lever, en passant par le charbon, le pain, le beurre, le lait, le café, le sucre, la viande, le poisson, les fruits et les légumes, les fleurs même, jusqu’au gaz et à la lumière électrique qu’il éteint le soir, à son coucher, la vie est plus chère à Paris qu’à Londres.

On reprochait à ces illustres traiteurs de majorer les prix à leur gré, suivant la physionomie et le sexe de leurs convives, de commettre des « erreurs » dans les additions hiéroglyphiques que la patronne expédiait elle-même du comptoir. L’un d’eux, que nous appellerons Beauvilliers pour n’offenser aucun vivant, répondait avec ingénuité à qui l’engageait à mieux surveiller l’arithmétique de son épouse : « Ah ! monsieur, je ne donnerais pas pour 30 000 francs par an les erreurs de Mme Beauvilliers ! » Sans être tout à fait passés, ces « beaux temps » sont moins beaux qu’autrefois. Les restaurans qui font les plus grosses recettes, aux Champs-Elysées, au Bois de Boulogne, ne les font que peu de jours par an. Ils sont toujours à la merci d’un orage. Les entreprises « saisonnières » sont, en fait d’hôtel aussi, les plus aléatoires de toutes : le Palace-Hôtel de Monte-Carlo, ouvert du 1er décembre au 1er mai, perd de l’argent pendant deux mois sur cinq ; tel autre, le plus achalandé de tous, à Trouville, doit faire assez de bénéfices en quinze jours pour combler ses pertes pendant deux mois et distribuer à ses actionnaires 4 pour 100 de dividende.

La cave est, partout, d’un rendement meilleur que la cuisine.