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rochers qui de tous côtés partagent le pays comme des murailles, il y a une chose solitaire, indifférente au premier coup d’œil, et de plus en plus difficile à définir si l’on s’attache à la regarder.. Un village, ou un caravansérail, semblait-il d’abord ; des murs ou des terrasses qui ont l’air d’être en terre grise, comme partout ailleurs, mais avec une quantité de mâts très longs, plantés au-dessus en désordre. L’extrême limpidité de l’air trompe sur les distances, et il faut observer un peu attentivement pour se rendre compte que cela est loin, que ces terrasses seraient tout à fait hors de proportion avec celles du pays, et que ces mâtures seraient géantes. Plus on examine, et plus cela se révèle singulier... Et c’est en effet l’une des grandes merveilles classiques de la Terre, à l’égal des pyramides d’Egypte ; — mais on y est beaucoup moins venu qu’à Memphis, et l’énigme en est bien moins éclaircie. Des rois qui faisaient trembler le monde, Xerxès, Darius, y ont tenu leur inimaginable cour, embellissant ce lieu de statues, de bas-reliefs, sur lesquels le temps n’a pas eu de prise. Depuis un peu plus de deux mille ans, depuis que le passage des armées du Macédonien en a révélé l’existence aux nations occidentales, cela porte un nom qui est devenu à lui seul imposant et évocateur : Persépolis. Mais, aux origines, comment cela s’appelait-il, et quels souverains de légende en avaient jeté les bases ? Les historiens, les érudits, à commencer par Hérodote pour finir aux contemporains, ont émis tant d’opinions contradictoires ! Au cours des siècles, tant de savans, attirés par ces ruines, ont bravé mille dangers pour camper dans les solitudes alentour, scruter les inscriptions, fouiller les tombeaux, sans arriver à conclure ! Et combien de laborieux volumes ont été écrits à propos de ce recoin de l’Asie, où la moindre pierre est gardienne d’antiques secrets !

Du reste, peu importe, pour un simple passant comme moi, l’absolue précision des données historiques ; que tel monarque ou tel autre dorme au fond de tel sépulcre ; que ce soit bien ce palais, ou celui de Pasargadé, qu’incendièrent les soldats d’Alexandre. Il me suffit que ces ruines soient les plus grandioses de leur temps et les moins détruites, éternisant pour nos yeux le génie de toute une époque et de toute une race.

Mais quel mystère que cette sorte de malédiction, toujours jetée sur les lieux qui furent dans l’antiquité particulièrement, splendides !... Ici, par exemple, pourquoi les hommes ont-ils