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ou six fois la hauteur coutumière, au lieu d’être, comme partout ailleurs, en terre battue que les pluies ne tarderont pas à détruire, sont faites en blocs cyclopéens, d’une durée éternelle ; et ces longues choses, qui de loin nous faisaient l’effet de mâts de navire, sont des colonnes monolithes, étonnamment sveltes et hardies, — qui devaient supporter jadis les plafonds en bois de cèdre, la charpente des prodigieux palais.

Nous arrivons maintenant à des escaliers en pierre dure et luisante, assez larges pour faire passer de front toute une armée ; là, nous mettons pied à terre, pour monter à ces terrasses d’où les colonnes s’élancent. Je ne sais quelle idée vient à nos Persans de faire monter aussi derrière nous les chevaux, qui d’abord ne veulent pas, qui se débattent, meurtrissant à coups de sabots les marches magnifiques, et notre entrée est bruyante, au milieu de ce recueillement infini.

Nous voici sur ces terrasses, qui nous réservaient la surprise d’être beaucoup plus immenses qu’elles ne le paraissaient d’en bas. C’est une esplanade assez étendue pour supporter une ville, et sur laquelle, en son temps, les grandes colonnes monolithes étaient multipliées comme les arbres d’une forêt. Il n’en reste plus debout qu’une vingtaine, de ces colonnes dont chacune était une merveille, et les autres, en tombant, ont jonché les dalles de leurs tronçons ; quantité de débris superbes se dressent aussi, en mêlée confuse, dans cette solitude pavée de larges pierres : des pylônes sculptés minutieusement, des pans de murs couverts d’inscriptions et de bas-reliefs. Et tout cela est d’un gris foncé, uniforme, étrange, inusité dans les ruines, d’un gris que la patine des siècles ne saurait produire, mais qui est dû évidemment à la couleur même d’on ne sait quelle matière rare en laquelle ces palais étaient construits.

On est dominé de près, ici, par cette chaîne d’énormes rochers couleur de basane, que, depuis notre départ du village, nous apercevions comme une muraille ; mais on domine, de l’autre côté, toutes ces plaines d’herbes et de fleurs, au fond desquelles se dessine l’inquiétante montagne carrée, avec ses deux gardiens accroupis ; deux ou trois petits hameaux, bien humbles, chacun dans son bouquet de peupliers, apparaissent aussi au loin, sortes d’îlots perdus dans cette mer de foins odorans et d’orges vertes ; et la paix suprême, la paix des Mondes à jamais abandonnés, plane sur ces prairies d’avril, — qui ont connu,