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appartemens profonds ; les fragmens de murs se multiplient et aussi les pylônes aux contours un peu égyptiens, qui ont pour architrave des feuilles de fleurs. On se sent là plus entouré, plus enclos, et, si l’on peut dire, plus dans l’ombre de tout ce colossal passé. Ces quartiers abondent en admirables grands bas-reliefs, d’une conservation stupéfiante. Les personnages ont gardé, sur leurs robes assyriennes ou sur leurs chevelures soigneusement calamistrées, le luisant des marbres neufs ; les uns se tiennent assis, dans des attitudes de dignité impérative, d’autres tirent de l’arc, ou luttent avec des monstres. Ils sont de taille humaine, le profil régulier et le visage noble. On en voit partout, sur des pans de muraille qui semblent aujourd’hui plantés sans ordre ; on les a tout autour de soi, en groupes intimidans ; et cette couleur de la pierre, toujours ce même gris sombre, donne quelque chose de funèbre à leur compagnie. Des cartouches, criblés de petites légendes en cunéiformes, présentent des surfaces tellement lisses que l’on y aperçoit sa propre silhouette, réfléchie comme sur un miroir d’étain. Et on est confondu de savoir l’âge de ces ciselures si fraîches, de se dire que ces plaques polies sont les mêmes qui, à cette même place, reflétèrent des figures, des beautés, des magnificences évanouies depuis plus de deux mille ans. Un fragment quelconque de telles pierres, que l’on emporterait avec soi, deviendrait une pièce incomparable pour un musée ; et tout cela est à la merci du premier ravisseur qui pénétrerait dans ces vastes solitudes, tout cela n’est gardé que par les deux géans pensifs, en sentinelle là-bas sur le seuil.

Plus loin, Persépolis se continue vaguement, en sculptures plus détruites, en débris plus éboulés et plus informes, jusqu’au pied de la triste montagne couleur de cuir, qui doit être elle-même forée et travaillée jusqu’en ses tréfonds les plus secrets, car on y aperçoit çà et là de grands trous noirs, d’une forme régulière, avec frontons et pilastres taillés à même le roc, qui bâillent à différentes hauteurs et qui sont des bouches de sépulcre. Dans les souterrains d’alentour sommeillent sans doute tant de richesses ou de reliques étranges !

Le soleil baisse, allongeant les ombres des colonnes et des géans, sur ce sol qui fut un pavé royal ; ces choses, lasses de durer, lasses de se fendiller au souffle des siècles, voient encore un soir...

Ils observent toujours avec attention, les deux géans à barbe