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Une frappante particularité de la flore de cette région, c’est que les mêmes espèces se rencontrent depuis le niveau de la mer jusqu’aux neiges éternelles : le phénomène n’a rien d’anormal quand on se rappelle que, sous cette latitude, la flore du niveau de la mer correspond à celle des hautes altitudes des Alpes, à partir de la limite des saules. Au Spitzberg ne croît pas un seul arbuste ; le bouleau nain, qui pousse en Laponie et en Islande, ne se trouve qu’à Green Harbour et à Advent Bay, mais si petit, que l’œil peut à peine le découvrir.

J’avais résolu d’explorer la vallée qui débouche à Green Harbour, et au fond de laquelle aboutit un superbe glacier que je voulais reconnaître. Mais je ne me doutais guère des difficultés de l’entreprise. Une excursion dans une vallée du Spitzberg ne ressemble en rien à une facile promenade dans une vallée des Alpes. C’est un effort épuisant que de marcher dans cette terre molle, tourbeuse, spongieuse, tout imprégnée d’eau, dans laquelle on enfonce à chaque pas, presque de la longueur des bottes, et qui est la caractéristique de toutes ces vallées du Spitzberg livrées à un perpétuel travail d’imbibition. J’espérais pourtant qu’en remontant la vallée, je rencontrerais un sol plus consistant, mais je me trouvai bientôt au bord d’un large et profond ravin au fond duquel serpentait un maigre torrent qui, à en juger par l’étendue de son lit, doit prendre des proportions énormes lors de la débâcle provoquée par la fonte des neiges. Le torrent coulait sous une succession de voûtes et de ponts de neige de l’aspect le plus fantastique : cette bizarre architecture subsiste encore au cœur de l’été, grâce à la facilité avec laquelle, au Spitzberg, la neige se transforme en glace bleue. Arrêté par les ravins qui s’ouvrent à pic, par les torrens qui tombent des névés, par les fondrières qui naissent au pied des pentes neigeuses, je reconnus bientôt l’impossibilité de remonter cette maudite vallée jusqu’au glacier qui en occupe le fond, et je me mis à gravir une montagne de 250 mètres, qui s’élève à gauche, et qui porte sur la carte anglaise le nom de « Mont Vésuve. » J’en atteignis la cime en une heure, et je ne fus pas peu surpris d’y trouver un bambou planté en guise de signal, sur une pyramide de pierres. Pauvre bambou, qui vit le jour sur les terres ensoleillées des tropiques, et vint échouer sur cette terre polaire ! La cime n’est qu’une étroite arête surplombant de chaque côté un puissant névé. De cet observatoire élevé, on