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VI


Bientôt je rejoindrai ceux qui m’ont, dans la tombe,
Précédé pour dormir du sommeil de la paix,
Et c’est pourquoi mes yeux, à l’heure où le jour tombe,
Aiment l’obscurité de vos berceaux épais.

Vous savez si, longtemps, j’avais rêvé de vivre
Sur le sol nourricier, des aïeux hérité ;
Mais, esclave vieilli de la plume et du livre,
Je n’ai point amassé l’or de ma liberté.

Trouvant amer le pain qu’on mange dans les villes,
Je fus un étranger parmi leurs citoyens ;
Tant d’agitations frivoles et servîtes
Ont accru dans mon cœur le désir des vrais biens.

Aussi, dès qu’un moment la chaîne se relâche,
Comme j’accours vers vous, mes chemins favoris !
Et comme je reprends l’utile et noble tâche
Dont tant de jours perdus me font sentir le prix !

Devant ce vieux noyer, dans ce coin où se mêle
Le frêne avec le charme et les sureaux en fleur,
Un jour j’imaginai tout le destin d’Angèle
Et, comme son amour, je vécus sa douleur.

Le long de ces ormeaux, quand Vesper illumine
Le ciel encore clair des fins de jours d’été.
Poète vieillissant qui lentement chemine,
J’ai conçu plus d’un vers où renaît ma fierté !

Mais surtout c’est ici qu’hier, ô mon amie !
(Hier, vingt ans passés), tu me donnas ton cœur,
Et qu’en ton jeune esprit ma pensée affermie
Pour un nouvel essor retrempa sa vigueur.