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de Perse : au-dessus du couronnement, un lion et un soleil.

J’attendais un luxe de Mille et une Nuits, chez ce puissant satrape, d’une richesse proverbiale ; mais la déception est complète, et son palais moderne paraîtrait quelconque, n’étaient les tapis merveilleux que l’on profane en marchant dessus. Dans le salon, où Son Altesse nous reçoit, des livres français encombrent la table à écrire, et des cartes géographiques françaises sont encadrées aux murs. Courtois et spirituel, Zelleh-Sultan a le regard incisif, le sourire amer. Et voici une courte appréciation, qui est textuellement de lui, sur deux peuples du voisinage : « De la part des Russes, nous n’avons jamais reçu que de bons offices. De la part des Anglais, dans le Sud de notre pays, perpétuelle tentative d’envahissement, par ces moyens que l’univers entier leur connaît. »

Dans la même zone de la ville, sont les grands jardins et le palais abandonné des anciens rois Sophis, successeurs du Chah Abbas, dont la dynastie se continua, de plus en plus élégante et raffinée, jusqu’à l’époque de l’invasion afghane (1721 de notre ère). Là encore, c’est le domaine des églantines, surtout des roses roses, et aussi de toutes ces vieilles fleurs de chez nous, que l’on appelle « fleurs de curé : » gueules-de-lion, pieds-d’alouette, soucis, jalousies et giroflées. Les rosiers y deviennent hauts comme des arbres ; les platanes géans, — émondés par le bas toujours, taillés en colonne blanche, — y forment des avenues régulières, pavées de grandes dalles un peu funèbres, le long des pièces d’eau, qui sont droites et alignées, à la mode ancienne. Le palais, qui trône au milieu de ces ombrages et de ces parterres de deux ou trois cents ans, s’appelle le Palais des Miroirs. Quand on l’aperçoit, c’est toujours au-dessus de sa propre image réfléchie par une pièce d’eau immobile, c’est pourquoi on l’appelle aussi le Palais des quarante colonnes, bien qu’il n’en ait en réalité que vingt, mais les Persans font compter ces reflets renversés qui, depuis des siècles, n’ont cessé d’apparaître dans l’espèce de grande glace mélancolique étendue devant le seuil. Pour nos yeux, ce palais a l’étrangeté de lignes et la sveltesse outrée de l’architecture achéménide : colonnades singulièrement hautes et frêles, soutenant une toiture plate ; et les longs platanes taillés qui l’entourent prolongent dans le parc la même note élancée. D’immenses draperies, qui ont disparu depuis l’invasion barbare, servaient, paraît-il, de clôture à ces salles, où la