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porter le fort de la guerre en Allemagne, » avec une pressante véhémence, qu’il semble avoir regrettée par la suite. « Le Roi, lit-on dans une note de Racine[1], demanda à Chamlay un mémoire où il expliquât les raisons pour la Flandre et pour l’Allemagne. Chamlay avoue qu’il appuya un peu trop pour l’Allemagne. »

Au conseil du 8 juin, la discussion reprit sur nouveaux frais entre Chamlay et Luxembourg. Elle fut longue, parfois violente ; à la fin même, la scène tourna presque au tragique. Saint-Simon, présent sur les lieux et non suspect de bienveillance envers son plus mortel ennemi, doit en être cru sur parole lorsqu’il dépeint l’opposition, la résistance patriotique du maréchal de Luxembourg au funeste parti qui semblait devoir l’emporter : « Il représenta[2] la facilité de forcer les retranchemens du prince d’Orange et de le battre entièrement avec une de ses deux armées, et de poursuivre la victoire avec l’autre, avec tout l’avantage de la saison et de n’avoir plus d’armée vis-à-vis de soi. Il combattit, par un présent si certain et si grand, l’avantage éloigné de forcer dans Heilbronn le prince de Bade... Au désespoir de se voir échapper une si glorieuse et si facile campagne, il se mit à deux genoux devant le Roi, et ne put rien obtenir. » Persuadé sincèrement sans doute que le nœud de la guerre était désormais en Allemagne, Louis XIV fut inflexible et, sa décision arrêtée, il exigea qu’elle fût exécutée sur l’heure : « Je fais partir[3] après-demain mon fils avec son armée, qui sera composée de 30 bataillons et de 60 escadrons, et je lui fais prendre le plus court chemin pour se rendre à Philisbourg. Je me séparerai de lui à Namur. Cependant je vous dirai que l’armée que je laisse ici aux ordres du maréchal de Luxembourg sera forte de près de 100 bataillons et de 200 escadrons, et par conséquent en état d’empêcher non seulement les ennemis de rien entreprendre, mais encore de remporter quelques avantages sur eux. »

L’explication qu’on vient de lire est celle de Louis XIV ; reste à savoir si elle est vraie, tout au moins si elle est complète. On peut mentionner à l’appui, et pour la décharge du Roi, le passage ci-après d’une lettre de Guillaume, confessant son angoisse

  1. Notes historiques. Œuvres de Racine, éd. Hachette.
  2. Mémoires, éd. Boislisle, t. I.
  3. Lettre du 8 juin, loc. cit.