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au rang de simple chef-lieu d’un département français, n’était déjà plus dans Rome, mais tout entière où résidait Napoléon,

Pour Suvée, il n’en était pas ainsi : Rome restait Rome, et rien ne la pouvait faire déchoir. Quoique aujourd’hui encore les liasses jaunies de la correspondance de l’ancien directeur soient, à la Villa Médicis, enveloppées dans des traductions italiennes des bulletins de la Grande Armée, il est facile de voir combien peu sa pensée s’éloignait des calmes et purs horizons du Pincio, demeurés pour lui, au milieu de l’universelle tourmente, le temple élevé et immuable de l’art.

A Paris, hormis son ami Joachim Le Breton, secrétaire perpétuel de la classe des Beaux-Arts de l’Institut de France, dont les avis et les conseils, aussi éclairés qu’affectueux, furent pour Suvée infiniment précieux, on ne rendait pas toujours justice à ce serviteur si dévoué du pays. On l’oubliait, on ne lui accordait pas la croix de la Légion d’honneur qu’il ambitionnait, on négligeait même de lui payer son traitement. Pour lui faire rembourser des avances, assez considérables eu égard à ses médiocres ressources, il ne fallut rien moins que l’intervention du cardinal Fesch, oncle de l’Empereur et protecteur officiel de notre école de Rome.

Malgré cette gêne et ces déboires, dont Suvée gémit parfois en des termes qui rappellent les lamentations que son prédécesseur Poërson adressait au surintendant Mansart, son zèle redevenait inlassable, dès qu’il s’agissait de la prospérité et de l’avenir de sa chère Académie. Il n’y aimait pas les innovations. Lorsque aux peintres, aux sculpteurs, aux architectes, on décida d’adjoindre des compositeurs de musique, à titre de grands prix, comme hôtes de la Villa Médicis, Suvée regretta cette mesure. Il appréciait très peu la musique italienne et ne voyait guère de quelle utilité le séjour de Rome pourrait être à nos musiciens. Depuis lors, cette question a été souvent posée. A consulter, cependant, la liste des compositeurs qui sont passés par l’Académie de France, où l’on relève les noms d’Hérold, d’Halévy, de Berlioz, de Gounod, de Bizet, de Massenet, de Saint-Saëns, de Théodore Dubois et de tant d’autres, on peut croire que ce séjour, tout au moins, ne leur a pas nui. L’un d’eux, et non des moindres, Gounod, attribuait à ses années de Rome le plus bienfaisant effet : « Elles ont plus fait pour moi, disait-il, que toutes les études, les luttes, les succès, les expériences de l’avenir. Dans le calme et l’apaisement des campagnes romaines,