Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/637

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur les difficultés du trafic par caravanes et indiquait sommairement, mais avec quelque précision, les travaux qu’exigeraient la restauration de l’ancien canal et de ses ports d’accès.

Dix ans après, Bonaparte débarquait en Égypte. Il n’y amenait pas seulement une armée française, mais tout un « institut » de savans et d’ingénieurs. Pour lui comme pour le Directoire, le Caire ne devait être qu’une première étape vers la conquête de l’Inde. Il avait lu et annoté tout ce qui s’était écrit avant lui sur l’Égypte et les voies nouvelles de communication. A peine maître du pays, il consulta l’ingénieur Le Père sur « ce qu’on pouvait espérer du rétablissement du canal de Soueys. » Le canal de Suez ! C’est peut-être la première fois qu’il apparaît, dans nos textes, sous le nom qu’il portera dans l’avenir. Bonaparte en aura été, tout au moins, le parrain. Sur les affirmations encourageantes de Le Père, il quitte avec lui le Caire (24 décembre 1798), accompagné des généraux Berthier et Caffarelli, du contre-amiral Gantheaume, de Monge, Berthollet et d’autres membres de l’Institut d’Égypte. Il suit, sur environ huit lieues, les vestiges de l’ancien canal. Pendant une marche de nuit, il manque d’être surpris dans une lagune par la marée montante et, comme le Pharaon de la Bible, d’y périr avec ses hommes. Il rentre au Caire, mais en chargeant Le Père et toute une compagnie d’ingénieurs d’exécuter une exploration en règle du pays entre le Nil, les lacs Amers et la Mer-Rouge. Elle dure de janvier 1799 à la fin d’octobre 1800, au milieu de difficultés énormes, résultant surtout du manque d’eau potable. Le 6 décembre 1800, Le Père adresse son rapport à Bonaparte, devenu Premier Consul. Il y affirme que le l’établissement du canal ne présente aucune difficulté majeure ; mais, comme il croit encore à la surélévation de la Mer-Rouge, il propose un système d’écluses. Cette vieille croyance fut d’ailleurs, dès cette époque, combattue par Laplace et Fourier. Il est probable que le plan de Le Père eût abouti simplement à reconstituer le canal de Trajan avec tous ses inconvéniens.

L’expédition de Bonaparte en Égypte, puis l’évacuation de celle-ci, auraient pu avoir pour conséquence de livrer le pays aux Anglais. Il se rencontra un aventurier de génie qui ajourna pour quatre-vingts ans le succès de leur ambition : en 1807, Méhémet-Ali jeta une armée britannique à la mer. Il se trouva en Égypte l’héritier des idées françaises et, à certains égards, le