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de commerce, et les témoignages d’une popularité presque universelle, mais sans réussir à désarmer l’hostilité des gouvernans. Palmerston déclarait à la tribune que l’entreprise était « physiquement impraticable ; » que tout au moins la dépense serait beaucoup trop grande pour faire espérer au capital aucune espèce de rémunération ; et qu’elle devait être placée « au rang de ces nombreux projets d’attrape (bubble) qui, de temps à autre, sont tendus à la crédulité des capitalistes gobe-mouches. » En même temps, il faisait, en secret, dire à Lesseps que, s’il consentait à lui livrer Suez et la garde du canal, l’opposition du cabinet anglais cesserait aussitôt. Lesseps éconduisit le porteur de ces propositions. Palmerston continuait, officiellement, à ne pas croire à la possibilité du canal ; mais il avait soin de faire occuper l’îlot de Périm, qui devait en commander l’issue méridionale. Le gouvernement anglais semblait alors isolé parmi tous ceux de l’Europe, dont les sympathies se déclaraient hautement pour l’entreprise ; en Angleterre même, il se trouvait en conflit avec les manifestations de l’opinion.

Lesseps, dans une réfutation publique du discours de Palmerston, mettait celui-ci en contradiction avec les conclusions de la science européenne, manifestée par les hommes les plus compétens et les plus désintéressés ; avec les termes du rapport définitif de la commission internationale ; avec les intérêts les plus évidens de l’industrie, du commerce et même de la politique britanniques. Il repoussait l’accusation d’avoir voulu tendre un piège à l’épargne britannique : lui avait-il seulement fait appel ? « Les capitaux anglais font si peu besoin à l’entreprise dont je suis le précurseur que, si la part réservée à l’Angleterre (40 millions sur un capital de 200 millions) n’était pas entièrement acceptée par elle, cette part serait à l’instant couverte par les demandes supplémentaires qui me sont parvenues de diverses parties du monde. »

A la suite d’un échange d’observations entre les deux cabinets des Tuileries et de Saint-James, il fut verbalement convenu que « ni la France, ni l’Angleterre ne pèseraient sur les décisions de la Turquie ou de l’Egypte, et qu’elles laisseraient l’affaire de Suez suivre en toute liberté son cours commercial et industriel. » C’était une de ces clauses de non-intervention comme celles qui étaient alors à la mode dans la plupart des complications européennes. Elle n’empêcha point le gouvernement anglais de continuer