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qui devaient leur fécondité nouvelle à la proximité des canalisations, et où il avait rêvé de créer une vaste colonisation, comme avait fait le Joseph de la Bible dans la terre de Gessen ; mais les 84 millions que la Compagnie devait recevoir du Khédive constituèrent une précieuse ressource, au moment où allaient commencer pour elle les difficultés financières. Un autre avantage sérieux, c’est que le gouvernement impérial, en assumant le rôle d’arbitre, s’engageait implicitement à soutenir la Compagnie contre toute malveillance de l’Égypte, de la Turquie, et même de l’Angleterre.

On ne pouvait espérer que l’arbitrage même ne fût pas discuté. Bulwer s’employait fiévreusement à le battre en brèche. Il rencontra dans le marquis de Moustier, successeur de Thouvenel à l’ambassade de Constantinople, un surveillant vigilant et un contradicteur résolu. Entre ces deux forces opposées, la résultante risquait d’être l’immobilité de la Porte. Elle s’avisa, pour gagner du temps, de demander un supplément d’informations. Bulwer lui-même tint à se documenter sur les lieux. Il se rendit en Égypte, et Lesseps lui fit, avec une joie peut-être ironique, les honneurs des travaux. Bulwer put se persuader que non seulement le Canal n’était pas une utopie, comme persistait à l’affirmer la presse britannique, mais que son achèvement n’était plus qu’une question de mois. Il revint à Constantinople absolument convaincu. Convaincu de quoi ? De la nécessité, puisque le canal allait être réalisé, d’assurer sur lui la mainmise britannique. Son hostilité resta aussi active, mais elle changea d’objet. Il ne s’agissait plus d’empêcher, mais de prendre. Bulwer avait pu, comme ses compatriotes, garder l’espérance que la Compagnie verrait la fin de son capital social de 200 millions avant l’achèvement de son œuvre ; or, voici que les deux Chambres françaises l’autorisaient à contracter un emprunt de 100 millions, qui fut aussitôt couvert. C’était donc bien avec de l’argent français, au profit des actionnaires français, que l’œuvre serait complètement réalisée. Bulwer n’eut plus d’autre souci que d’empêcher la ratification par le Sultan.

L’iradé se faisait toujours attendre. Quand l’empereur des Français, en avril 1865, vint à Marseille s’embarquer pour l’Algérie, Fuad-Pacha, qui faisait une cure dans notre Midi, s’empressa d’aller saluer le souverain. Celui-ci ne répondit pas à son salut. Très ému de ce froid accueil, le grand vizir demanda si l’Empereur