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Il s’agit, cette fois, d’un ménage d’artistes, traversé par la passion que le mari, le sculpteur Settala, porto à son modèle, l’admirable Gioconde. Pris entre ce vertige irrésistible et la volonté de ne pas briser le cœur de sa femme, la douce et fidèle Silvia. Settala s’est tiré un coup de pistolet, au pied de la statue qu’il venait d’achever. Il ne meurt pas. Sa femme le sauve. Après des semaines d’inconscience, il revient à la vie. Il voudrait croire, et faire croire à celle qui l’aime, que les souvenirs du passé sont abolis, qu’il recommencera près d’elle la vie d’autrefois. Mais il suffit qu’un billet de la Gioconde lui tombe dans les mains pour qu’il se retrouve dans l’état d’âme où il était avant d’essayer de se donner la mort : « En somme, pourquoi est-il né ? Pour faire le bonheur de sa femme et de sa petite fille, ou pour créer des chefs-d’œuvre ? » Silvia voit le péril, et décide de combattre jusqu’à la fin. Elle sait que la Gioconde attend Settala dans l’atelier, devant sa statue. Elle va au rendez-vous à la place de son mari. Elle lutte de toutes les forces de son droit et de son amour, et, quand la maîtresse affolée se rue sur cette statue pour la détruire, elle, Silvia, l’épouse, elle reçoit sur ses mains le marbre qui s’écroule, et laisse écraser sa chair pour empêcher que le rêve de Settala périsse. Au dramaturge, après cela, de nous dire ce que sera le destin de cette noble amoureuse. Qu’il nous la montre triomphante, ou sacrifiée (c’est le parti où il s’arrête), il nous a émus assez profondément pour nous mener où il veut, à la condition, bien entendu, qu’il ait le dessein de nous conduire quelque part.

La tragédie de Françoise de Rimini, n’ayant été ni jouée ni même traduite en français (il en est de même du Songe d’un crépuscule d’automne), mérite une analyse plus ample. Et, aussi bien, de l’aveu de la critique comme de M. d’Annunzio lui-même, c’est, de toutes les pièces que l’auteur a données au théâtre, celle où il fait le plus d’efforts pour observer, dans la distribution et la conduite de son action, les règles de la poétique dramatique.

Cette « tragédie » commence à Rimini dans une cour du palais des Polentani, les parens de Françoise. La politique de la famille a condamné la belle jeune fille à épouser Jean Malatesta, surnommé le Boiteux, qui est laid de corps, féroce d’âme. On a résolu d’user de ruse pour décider Françoise. Celui qu’on lui montre de loin comme le fiancé qu’un jour elle épousera est le beau Paolo, le propre frère de Jean Malatesta II est venu en