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le nouvel amant d’Hélène sera sacrifié à son tour, dès qu’un astre levant fera pâlir son étoile, on ne l’aperçoit pas. On pourrait suivre ainsi l’action d’acte en acte, de scène en scène, et montrer que M. d’Annunzio a évité, comme de parti pris, de la rendre visible.

La façon dont est dessiné le caractère du tribun Flamma n’est pas moins déconcertante. Ce jeune dictateur, qui met la puissance populaire dans sa main, est un faible ; il laisse régler sa carrière, et finalement son destin, par la Comnène, comme s’il était, entre ses doigts, non pas un homme, et un homme de volonté exceptionnelle, mais le plus automate des pantins. Hélène elle-même, que la foule appelle « l’Impératrice, » n’arrive pas à éclairer la tragédie par la fougue de ses passions. Ni femme ni allégorie, participant de l’une et de l’autre, cette créature, que le poète a voulu faire irrésistible, ne touche pas les cœurs. Si elle est une allégorie, il faudrait la maintenir au dernier plan, comme une apparition wagnérienne, ou une figure d’apothéose. Si elle est une femme, elle devrait sentir et parler comme un être humain, découvrir au public les ressorts de sa psychologie particulière. Telle qu’elle est, elle semble inutilement cruelle. Sa fierté ambitieuse ne va pas vers un but tangible. On ne sait jamais au juste si elle aime ou non son amant ; si elle veut sa gloire ou sa défaite. Son aspect est si multiforme que les hommes qui l’outragent ou l’aiment n’arrivent point à la définir. Bronte, son premier mari, n’a vu en elle que la courtisane, prête pour toutes les souillures, toutes les ruines ; mais cette chair le captive, et il lui sacrifie tout. Pour Flamma, elle personnifie « la Gloire » avec ses beautés, ses horreurs, ses crimes, ses meurtres, ses splendeurs. Quel est l’avis du poète ? il ne fait pas le choix, et le résultat de cette hésitation, volontaire ou non, c’est qu’Hélène ne vit point ; son caractère n’a pas d’unité. Différente à chaque scène, voire dans la même scène, elle ne donne pas une fois une sensation complète de réalité. Elle se recule, elle s’évapore, elle nous est indifférente, parce qu’elle est insaisissable.

Peut-être suffit-il de copier cette « annotation scénique » qui, dans la brochure même de la Gloire, accompagne, comme un commentaire, la première apparition d’Hélène, pour comprendre quelle raison la rend, jusqu’à la fin du poème, indéchiffrable : « À travers le voile épais qui lui enveloppe le visage, on voit