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ne reprît le commandement de l’armée. Vraisemblablement, il convainquit Fouché, qui, lui aussi, savait les tentatives de plusieurs généraux pour entraîner l’Empereur à en appeler aux soldats et connaissait les sentimens persistans du peuple de Paris. Le duc d’Otrante fit donc prendre cet arrêté par la commission exécutive : « Art. 1er. Le ministre de la Marine donnera des ordres pour que les deux frégates du port de Rochefort soient armées pour le transport de Napoléon Bonaparte aux Etats-Unis. — Art. 2. Il lui sera fourni jusqu’au point de l’embarquement une escorte sous les ordres du général Beker, qui est chargé de pourvoir à se sûreté... — Art. 5. Les frégates ne quitteront point la rade avant que les sauf-conduits demandés ne soient arrivés. » Fouché trouvait dans cette mesure le double avantage d’éloigner Napoléon de Paris et de le garder prisonnier à Rochefort.

Beker, incontinent mandé à Paris, revint, à la fin de l’après midi, à la Malmaison avec l’ampliation de cet arrêté. L’Empereur éventa le piège. « — Je désire, dit-il, ne pas me rendre à Rochefort, à moins que je ne sois sûr d’en partir à l’instant même ! : C’est ce refus, pourtant très raisonné et très explicite, qui a créé la légende des « tergiversations de Bonaparte. » Napoléon ne tergiversait pas. Il avait demandé trois fois de suite à s’embarquer pour les Etats-Unis. Au lieu de cela, on l’invitait à aller attendre à Rochefort la décision des alliés sur sa personne. Prison pour prison, il préférait la Malmaison. Là, du moins, lui restait la chance de quelque revirement d’opinion, de quelque la révolution politique, de quelque tumulte militaire qui lui rendît son épée. A Rochefort, il ne pourrait, quoi qu’il advînt, profiter d’aucune circonstance. Mais la bonne foi de l’Empereur était entière. Il avait promis de quitter la France, il le voulait encore. S’il eût cherché un prétexte pour manquer à cet engagement, il l’aurait trouvé dans les conditions suspectes mises par Fouché : l’embarquement. Or, loin d’en profiter en s’enfermant obstinément dans une nouvelle résolution, il chargea le jour même Rovigo, puis Lavallette, qui étaient venus l’un et l’autre à la Malmaison de parler à Decrès et à Fouché afin d’obtenir la levée de l’article restrictif.

Lavallette trouva Decrès déjà au lit : « Je ne puis rien, lui dit le ministre. Allez voir Fouché, parlez au gouvernement. Bonsoir ! » Et il se renfonça sous ses couvertures. Lavallette tenta vainement de joindre Fouché et revint dans la nuit à la Malmaison