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devoir d’observer que nous pensons que son évasion avant l’issue des négociations serait regardée comme une mauvaise foi de notre part et pourrait compromettre essentiellement le salut de la France. »

Quand Bignon, ministre des Affaires étrangères par intérim, put achevé la lecture de la dépêche, Fouché dit sans ambages : « — Le plus pressé est d’empêcher le départ de Napoléon. » Et comme, parmi les vingt personnes présentes[1], aucune, ni Caulaincourt, ni Carnot, ni Davout, ni Cambacérès, ni Thibaudeau, ne fit aucune protestation, il griffonna sur-le-champ l’ordre à Decrès de ne point laisser les frégates quitter la rade avant l’arrivée des sauf-conduits.

Les sauf-conduits ! Si Fouché, avec une ingénuité qu’il est difficile de lui supposer, en avait fait la demande dans l’espérance de les obtenir, il était bien sûr désormais qu’ils ne seraient point accordés. Volontairement ou par ignorance, les aides de camp de Blücher avaient trompé La Fayette et ses collègues sur les desseins des Puissances à l’égard du futur gouvernement français, mais ils avaient dit vrai sur la question des garanties qu’elles comptaient prendre contre Napoléon. Les alliés voulaient en finir avec « le perturbateur du monde. » A la lettre de Bignon, portée par Tromelin au quartier général anglais, Wellington répondit : « Je n’ai aucun pouvoir de mon gouvernement pour donner une réponse quelconque à la demande de sauf-conduits pour Napoléon Bonaparte. » Castlereagh opposa un même refus, mais en termes plus inquiétans encore, dans une lettre au comte Otto. « La dépêche de lord Castlereagh, écrivait Otto, semblerait indiquer un engagement particulier pris envers les princes coalisés touchant la personne de Napoléon. »

Cet engagement n’était pas encore pris, mais déjà les ministres et les généraux de la coalition s’occupaient du sort plus ou moins rigoureux réservé à l’homme qui, si longtemps, avait ruiné leur politique, déchiré leurs traités, anéanti leurs armées, démembré leur pays. Metternich écrivait à sa fille Marie : « On a attrapé le chapeau de Napoléon. Il faut espérer que nous finirons par le prendre lui-même ! » et, quelques jours plus tard, il avisait Wellington que les trois souverains « regardaient comme condition préalable et essentielle de la paix que Bonaparte fût

  1. La Commission de gouvernement tenait ce matin-là une séance extraordinaire où avaient été convoqués les bureaux des deux Chambres et les ministres.