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hautes et jalouses murailles d’émail. Tout est fermé, cadenassé, vide et silencieux, dans cette demeure de souverain dont le maître voyage au loin ; certaines portes ont des scellés à la cire ; et des stores baissés masquent toutes les fenêtres, toutes les baies, qui prennent jour sur ces lacs enclos, — des stores en toile brodée, grands et solides comme des voiles de frégate. Aux murailles, ces revêtemens d’émaux modernes, qui représentent des personnages ou des buissons de roses, attestent une lamentable décadence de l’art persan ; mais l’aspect d’ensemble charme encore, et les reflets dans l’eau sont exquis, parmi les images renversées des branches et des verdures. — Il ne pleut plus ; au ciel, les masses d’ombre se déchirent et se dispersent en déroute ; nous avons une claire après-midi, dans ce lieu très réservé, où les gardes nous laissent en confiance promener seuls.

Ce store immense que voici, attaché par tout un jeu de cordes, nous cache la salle du trône, qui date de la fondation du palais et qui, suivant le vieil usage, est entièrement ouverte, comme un hangar, afin de permettre au peuple d’apercevoir de loin son idole assise ; des soubassemens de marbre, — sans escalier pour que la foule n’y monte point, — l’élèvent d’environ deux mètres au-dessus des jardins, et, devant, s’étale en miroir une grande pièce d’eau carrée, le long de laquelle, aux jours de gala, tous les dignitaires viennent se ranger, tous les somptueux burnous, toutes les aigrettes de pierreries, quand le souverain doit apparaître, étincelant et muet, dans la salle en pénombre.

Cette salle, nous avons bien envie de lavoir. Avec l’innocente complicité d’un garde, qui devine un peu à quelles gens il a affaire, nous accrochant aux saillies du marbre, nous montons nous glisser par-dessous le store tendu, — et nous entrons dans la place.

Il y fait naturellement très sombre, puisqu’elle ne reçoit de lumière que par cette immense baie, voilée aujourd’hui d’une toile épaisse. Ce que nous distinguons en premier lieu, c’est le trône, qui s’avance là tout près, tout au bord ; il est d’un archaïsme que nous n’attendions pas, et il se détache en blancheur sur la décoration générale rouge et or. C’est l’un des trônes historiques des empereurs Mogols, une sorte d’estrade en albâtre avec filets dorés, soutenue par des petites déesses étranges, et des petits monstres sculptés dans le même bloc ; le traditionnel jet d’eau, indispensable à la mise en scène d’un souverain persan,