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mais, pas plus que les Russes après la guerre de 1878 et le Congrès de Berlin, les Japonais n’ont oublié comment leur fut ravi le fruit de leurs victoires. Leur orgueil patriotique, exalté par la guerre de Chine et par le merveilleux essor de l’industrie et du commerce, s’accrut encore du dépit d’avoir dû céder à l’intervention étrangère. Toutes les forces vives du gouvernement et de la nation furent dès lors tournées vers un seul but : constituer une armée et une marine capables de vaincre la Russie et d’exercer l’hégémonie dans les mers d’Extrême-Orient ; reprendre en même temps le rôle d’éducateurs du Céleste-Empire, de protecteurs de son intégrité et d’excitateurs de ses énergies ; arriver enfin, par ce double moyen, au but suprême : mettre la race jaune en état de se suffire à elle-même, chasser de l’Asie Orientale les Européens, leur arracher leurs colonies, affranchir tous les peuples jaunes et dominer, comme une Grande-Bretagne asiatique, sur toutes les mers et toutes les îles du Pacifique occidental. Dans l’opinion publique, dans la presse, dans l’armée, le ressouvenir des mécomptes de 1895, les progrès incessans de la puissance moscovite en Mandchourie et dans la Chine du Nord, la construction rapide du Transsibérien, l’occupation et la fortification de Port-Arthur, entretenaient la haine de l’ennemi traditionnel, celui que le Japon a rencontré devant lui depuis qu’il a un programme ou seulement des velléités d’expansion, le Russe.

L’indemnité de guerre chinoise, près de 943 millions de francs, fut en très grande partie employée à la réorganisation et à l’augmentation de l’armée et de la marine. Le programme naval de 1896, dont la moitié est achevée, devait donner au Japon une flotte homogène et entièrement neuve ; à la même époque, il disposerait d’une armée de douze divisions d’infanterie, plus la garde et les réserves. Ces préparatifs étaient ostensiblement dirigés contre la Russie. Depuis longtemps, la redoutable échéance de la guerre était prévue et préparée pour 1902. Les événemens de 1900, en Chine, l’insurrection des Boxers et l’expédition des armées étrangères sur Pékin, apportèrent quelque retard et quelque confusion dans la marche des événemens ; mais ce fut, pour les Nippons, l’occasion de montrer leur force et de faire parade d’une bravoure souvent héroïque, encore que parfois théâtrale. A la gare de Tien-Tsin, quand les Anglais s’étaient retirés, ils tinrent ferme à côté de nos « marsouins. » La confraternité